Le télétravail aura-t-il des effets bénéfiques sur l’environnement ?
Josh Duke (Unsplash), CC BY-NC-ND
Annie Levasseur, École de technologie supérieure (ÉTS) et Danielle Monfet, École de technologie supérieure (ÉTS)
Le télétravail a bien des vertus : il augmente le temps dédié à la vie personnelle et facilite la conciliation travail-famille, en plus d’augmenter la productivité, pour ne nommer que quelques-uns de ses bénéfices. À l’opposé, il peut entraîner quelques effets négatifs comme un sentiment d’isolement, un manque de motivation ou un surplus de tâches domestiques pour les femmes.
Cela dit, le télétravail est là pour rester après la pandémie. Un récent sondage a montré que 45 % des Canadiens sondés préféreraient travailler à distance au moins trois jours par semaine. Ce qui fait dire à plusieurs que le télétravail aura des effets positifs sur le climat, car il réduirait nos émissions de gaz à effet de serre (GES). À première vue, l’équation est simple : plus de télétravailleurs signifient moins de déplacements entre la maison et le travail, donc moins d’émissions de GES.
En fait, la réalité est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît.
Voici pourquoi.
Nos recherches visent à estimer les émissions de gaz à effet de serre (GES) anthropiques, dont celles provenant des secteurs du transport et du bâtiment, et ce, de façon détaillée dans l’espace et dans le temps. Cela permet de mieux comprendre les facteurs affectant ces émissions et de concevoir des stratégies de réduction plus efficaces.
Effets rebonds
Au Québec, le transport est responsable de plus de 40 % des émissions de GES. Cette donnée nous porte à croire que le télétravail, en réduisant les déplacements entre la maison et le bureau, abaisserait les émissions de GES de ce secteur. C’est sans compter sur les « effets rebonds » qui peuvent amplifier ou même contrecarrer ces bénéfices.
Par exemple, la diminution de la congestion routière résultant de la réduction des déplacements vers le bureau pourrait inciter certaines personnes à abandonner les transports en commun au profit de la voiture. D’autres encore pourraient être tentés de déménager dans des régions plus éloignées des centres urbains, là où la densité de population est plus faible. Par conséquent, les distances que ces personnes auraient à parcourir pour des déplacements autres que le travail rendraient plus difficile le recours aux transports en commun ou aux transports actifs, ce qui favoriserait les déplacements en voiture.
D’un autre côté, la pandémie a entraîné le développement rapide de projets de transport actif, la piétonnisation d’artères commerciales et l’appropriation des espaces publics. De telles initiatives rendent les quartiers urbains plus attractifs en améliorant la qualité de vie des résidents. Elles sont aussi susceptibles de réduire l’utilisation de la voiture en favorisant l’accès aux commerces locaux et à différentes activités de divertissement après la journée de travail à la maison.
À lire également : Malgré le confinement, les émissions continuent d’augmenter
L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a fait un bilan des émissions de CO2 pour 2020. Malheureusement, celles-ci n’ont que très peu diminué malgré les périodes de confinement qui ont sévi partout sur la planète au cours des derniers mois. À lire ici.
Télétravail et consommation énergétique des bâtiments
La consommation énergétique des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels au Québec représente environ 10 % des émissions de GES de la province. Le télétravail devrait normalement entraîner une réduction de la demande énergétique des immeubles de bureaux, tandis qu’il ferait augmenter la quantité d’énergie consommée à la maison, ayant ainsi un effet sur les émissions de GES du secteur.
Différentes mesures peuvent être implantées pour réduire la demande énergétique des immeubles de bureaux lorsqu’une politique de télétravail est en place. Il peut s’agir de créer des espaces de travail partagés, lesquels réduiraient la superficie des locaux et, par la même occasion, leurs besoins énergétiques.
Outre la consommation d’énergie totale des bâtiments, il faut aussi tenir compte de la dynamique de consommation. Ainsi, la durée et l’intensité des périodes de pointe en matinée et en soirée pourraient différer de celles que nous connaissons actuellement. Certaines tâches domestiques, comme la lessive, pourraient être repoussées à d’autres moments de la journée, les travailleurs étant à la maison.
De plus, les GES émis par notre consommation d’électricité varient en fonction de la demande. Dans certains cas, un déséquilibre entre l’offre et la disponibilité de l’énergie issue du réseau électrique nécessite le recours à l’énergie fossile, et ce, même au Québec en raison des importations en période de grands froids. Par conséquent, des modifications à cette dynamique de consommation énergétique auraient des répercussions sur les émissions de GES.
Les effets négatifs de cette dynamique peuvent être plus facilement contrecarrés dans les bâtiments commerciaux et institutionnels puisqu’ils sont desservis par des systèmes centraux permettant de moduler la demande d’énergie. Ce n’est toutefois pas le cas pour la majorité des bâtiments résidentiels.
Nouvelles vocations pour les bâtiments commerciaux et institutionnels
De nouvelles vocations devront être trouvées aux bâtiments laissés vacants par les travailleurs en tenant compte des aspects environnementaux, sociaux ou sanitaires.
Une femme traverse une rue du centre-ville de Montréal, désert. De nouvelles vocations devront être trouvées aux bâtiments laissés en partie vacants. La Presse Canadienne/Graham Hughes
Certains pourraient adopter des vocations multiples. Par exemple, une portion de ces édifices à bureaux pourraient être transformés pour accueillir des habitations. Ce changement de vocation requiert toutefois des modifications majeures afin de rencontrer les exigences du code du bâtiment ainsi que la réglementation en vigueur.
Un bâtiment pourrait aussi abriter un centre de données, ainsi qu’un espace dédié à l’agriculture. Il y a un intérêt croissant pour la mise en place de ces synergies. Celles-ci sont souvent mises en place pour des projets de grande envergure. L’intégration de ces nouveaux usages au sein d’un même bâtiment permettrait de mieux gérer la consommation d’énergie, tout en réduisant les répercussions négatives qui découlent du recours accru aux infrastructures infonuagiques et en soutenant des initiatives visant une plus grande autonomie et résilience alimentaires.
Revoir notre mode de vie pour le futur
Le télétravail peut ainsi avoir des conséquences positives ou négatives sur les changements climatiques, mais aussi sur d’autres aspects du développement durable comme la pollution atmosphérique, l’économie locale, les relations sociales ou la conciliation travail-famille, pour ne nommer que ceux-ci.
La pandémie que nous vivons actuellement aura démontré que le télétravail est possible à grande échelle et que celui-ci comporte de nombreux avantages. Des efforts devront être investis pour sensibiliser les citoyens et les décideurs politiques aux effets rebonds, de manière à contrecarrer leurs effets négatifs sur le climat et l’aménagement du territoire.
C’est important d’y réfléchir dès maintenant, car la fin de la pandémie ne signifiera pas pour autant la fin du télétravail. De nombreuses entreprises anticipent déjà qu’un bon nombre de leurs employés travailleront à distance de façon permanente, à temps plein ou partiel.
Annie Levasseur, Professeure en génie de l'environnement, École de technologie supérieure (ÉTS) et Danielle Monfet, Professeure en génie de la construction, thermique et science du bâtiment, École de technologie supérieure (ÉTS)
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.