Mettre la forêt boréale au service de la lutte aux changements climatiques
Quelles stratégies peut-on recommander pour rendre les forêts plus résilientes et mieux adaptées à ce nouveau climat? Un texte de Claude Villeneuve, Charles Marty, Maxime Paré et Patrick Faubert de l'Université du Québec à Chicoutimi.
Les émissions de CO2 provoquées par l’utilisation des carburants fossiles et la déforestation sont la principale cause du réchauffement de plus de 1 °C du climat planétaire enregistré depuis cent ans. Au rythme actuel, ce réchauffement dépassera très probablement 2 °C avant 2100, provoquant des bouleversements du climat partout sur la planète.
Pour faire face à cette menace, il faut mettre en œuvre rapidement et de façon soutenue tous les moyens pour réduire les émissions et augmenter les absorptions de CO₂ à l’échelle planétaire. À ce titre, l’arrêt de la déforestation et le boisement sont des mesures généralement reconnues comme des moyens efficaces et peu coûteux pour lutter contre les changements climatiques, car les arbres captent le CO2 et le stockent dans le bois, les racines et le sol.
C’est ce qui a incité le Gouvernement canadien à inclure la plantation de 2 milliards d’arbres entre 2020 et 2030 dans la panoplie des actions mises en œuvre pour atteindre la carboneutralité en 2050.
Mais les choses sont-elles aussi simples ? Planter des arbres peut-il nous aider à résoudre la crise climatique ?
Les auteurs sont des professeurs-chercheurs au Département des sciences fondamentales de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) qui tentent de répondre à cette question au sein de l’infrastructure de recherche Carbone boréal.
Du global au local
Sur quels terrains peut-on raisonnablement planter de nouveaux arbres en évitant les conflits d’usage ? (Source : Claude Villeneuve)
Les études prospectives sur l’évolution des forêts dans un contexte de changements climatiques sont basées sur des modélisations appliquées à l’échelle de parcelles de plus de 100 km2. À titre indicatif, cette superficie équivaut à la moitié de l’île d’Orléans ou à un peu moins du quart de l’île de Montréal.
Mais que se passe-t-il réellement à plus petite échelle, en fonction des caractéristiques locales et des espèces réellement présentes dans les peuplements ? Comment les arbres réagiront-ils aux nouvelles conditions climatiques ? Comment évoluera le régime des perturbations ? Quelles stratégies peut-on recommander pour rendre les forêts plus résilientes et mieux adaptées à ce nouveau climat ? Quelle est la probabilité que les stocks de carbone supplémentaires projetés soient au rendez-vous en 2050 ? Sur quels terrains peut-on raisonnablement planter de nouveaux arbres en évitant les conflits d’usage ?
C’est le genre de questions qui ont motivé une équipe de chercheurs de l’UQAC à lancer en 2008 le projet Carbone boréal.
Une infrastructure originale
Il existe, dans le domaine de la forêt boréale, d’importantes zones (estimées à 7 % de la forêt boréale exploitable au Québec) présentant de faibles densités d’arbres. Cette caractéristique les qualifie comme non-forêts, selon la définition de la FAO.
Ces territoires ouverts, où plus des trois quarts de la végétation est constituée de lichens et d’Éricacées, résultent de perturbations naturelles successives, comme des feux de forêt ou encore des épidémies d’insectes ravageurs. Ils ne se redensifient pas dans le temps en raison d’un manque de graines et de conditions de sols dégradées. En effet, selon le type de feu qui brûle en surface ou en profondeur, la matière organique du sol sera conservée ou complètement brûlée, ce qui offre des conditions plus ou moins favorables pour l’implantation des semis par les graines.
Les non-forêts sont des territoires ouverts, où plus des trois quarts de la végétation est constituée de lichens et d’Éricacées, qui résultent de perturbations naturelles successives. (Source : Claude Villeneuve)
Ce processus de déforestation naturelle peut être renversé par des interventions comme le scarifiage (retournement superficiel du sol), suivi ou non par la plantation d’arbres.
Carbone boréal est une infrastructure de recherche unique au monde par ses objectifs, son approche et son mode de financement. Trois hypothèses ont justifié sa création :
il est possible de planter des arbres dans des territoires considérés comme improductifs pour la foresterie et d’y faire croître des forêts ;
la quantité de carbone stocké dans ces nouveaux habitats est plus grande qu’en l’absence d’intervention ; et
il est possible de quantifier cette absorption additionnelle de carbone et de l’offrir au public comme outil crédible de compensation des émissions de gaz à effet de serre.
Après 15 ans de recherches et plus de 1,5 million d’arbres plantés et vérifiés, ces trois hypothèses sont avérées et les plantations effectuées commencent à répondre à de nouvelles questions de recherche.
Il est possible de planter des arbres dans des territoires considérés comme improductifs pour la foresterie et d’y faire croître des forêts. (Source : Claude Villeneuve)
Des questions et des réponses
Des mesures sur le terrain prises dans nos plantations aux 5 ans ont permis de démontrer une performance inattendue du pin gris et du mélèze laricin dans les premières années de croissance et une vitesse de fixation du carbone plus grande que prévue par les modèles.
Nous avons aussi démontré l’importance du choix des sites afin d’optimiser la séquestration du carbone et développé de nouvelles équations permettant d’évaluer la biomasse des arbres avec des mesures non destructives. D’autres travaux sont en cours pour quantifier la perte de carbone des sols suite au scarifiage et l’accumulation nette supplémentaire de carbone sur 20 ans. Dans une perspective d’économie circulaire, nous étudions le potentiel de fertilisation de sous-produits industriels, comme les biosolides de papetières, et les potentiels gains de productivité et de résilience de plantations comportant des mélanges d’espèces.
Une question préoccupante soulevée par les modèles climatiques constitue un enjeu : quel est l’effet réel du boisement en milieu boréal sur le climat ? Bien que les forêts boréales absorbent du CO2 (effet refroidissant sur le climat), elles diminuent la fraction de l’énergie solaire qui est directement réfléchie vers l’espace par rapport aux zones ouvertes. Ce phénomène pourrait créer un réchauffement local et diminuer le bénéfice climatique global de la captation additionnelle de CO2 par les arbres. Mais quelle est l’amplitude réelle de cet effet ? Varie-t-il selon la latitude, les espèces d’arbres et l’âge des plantations ? L’équipe s’attaque à ces questions dès l’hiver 2023.
En 2024, avec plus de 2 millions d’arbres plantés en dispositifs de recherche sur des terres publiques et privées, Carbone boréal représentera une superficie de 1 000 hectares (10 km2, soit 5 fois la superficie du Parc du Mont-Royal à Montréal) dédiée à la recherche à long terme pour l’UQAC. Ces arbres capteront dès 2030 plus de 4 000 tonnes de CO2 chaque année.
Voilà une façon concrète et originale de mieux comprendre le rôle de la forêt boréale sur l’évolution du climat et d’expérimenter des moyens pour l’adapter à ses nouvelles conditions d’existence.
Cet article de Claude Villeneuve, Professeur titulaire Chaire en éco-conseil spécialiste des changements climatiques, Charles Marty, professeur adjoint, Maxime Paré, Professeur chercheur en agriculture nordique, et Patrick Faubert, professeur en écologie industrielle et adaptation aux changements climatiques, tous à l'Université du Québec à Chicoutimi, est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image bannière : image de la forêt boréale (source : Claude Villeneuve)