Les changements climatiques inondent le Grand Nord de lumière et d'espèces
Jørgen Berge, University of Tromsø; Carlos Duarte, King Abdullah University of Science and Technology; Dorte Krause-Jensen, Aarhus University; Karen Filbee-Dexter, Université Laval; Kimberly Howland, Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Philippe Archambault, Université Laval
Une grande étendue de glace de mer flotte près de son centre. Elle s’étend pendant le long hiver, froid et sombre, et se contracte en été, lorsque le soleil monte plus haut dans le ciel.
C’est en septembre, chaque année, qu’il y a le moins de couverture de glace de mer. En 2020, sa superficie n’était que de 3,74 millions de kilomètres carrés, soit la deuxième plus petite superficie mesurée en 42 ans et environ la moitié de celle de 1980. Chaque année, à mesure que le climat se réchauffe, l’Arctique conserve de moins en moins de glace.
Les effets du réchauffement climatique se font sentir dans le monde entier, mais nulle part autant que dans l’Arctique. La température augmente en Arctique deux à trois fois plus vite qu’à tout autre endroit sur Terre, ce qui entraîne des changements considérables dans l’océan Arctique, ses écosystèmes et pour les quatre millions de personnes qui y vivent.
Cet article fait partie de notre série globale Océans 21
Cinq articles ouvrent notre série globale sur les océans, en explorant les anciens réseaux commerciaux de l’océan Indien, la pollution plastique du Pacifique, la lumière et la vie dans l’Arctique, la pêche dans l’Atlantique et l’impact de l’océan Austral sur le climat mondial. Tous vous sont proposés par le réseau international de The Conversation.
Certains de ces changements sont inattendus. L’eau plus chaude attire certaines espèces vers le nord. La glace amincie permet à davantage de navires de croisière, de cargos et de navires de recherche de se rendre en Arctique. Les changements climatiques, en l’absence de glace et de neige pour obscurcir l’eau, favorisent le passage de lumière.
Lumière artificielle dans la nuit polaire
La lumière joue un rôle essentiel dans l’océan Arctique. Les algues, à la base de la chaîne alimentaire arctique, convertissent la lumière du soleil en sucres et en graisses, qui nourrissent les poissons et, au bout du compte, les baleines, les ours polaires et les humains.
Dans les hautes latitudes de l’Arctique, au plus fort de l’hiver, le Soleil reste sous l’horizon pendant 24 heures. C’est ce qu’on appelle la nuit polaire. Au pôle Nord, l’année est constituée d’un jour qui dure six mois suivi d’une nuit tout aussi longue.
À l’automne 2006, des chercheurs qui étudient les effets de la perte de glace ont déployé des observatoires — des instruments ancrés avec une bouée — dans un fjord arctique avant qu’il ne gèle. Quand ils ont commencé l’échantillonnage au printemps 2007, cela faisait près de six mois que les instruments recueillaient des données, au beau milieu de la longue et rude nuit polaire.
La nuit polaire peut durer des semaines, voire des mois, dans le Haut-Arctique. Michael O. Snyder, Author provided
Les informations recueillies les ont étonnés.
La vie dans le noir
Auparavant, les scientifiques pensaient que la nuit polaire était dénuée d’intérêt, qu’il s’agissait d’une période morte où la vie est en dormance dans un écosystème en veille, sans lumière ni chaleur. On ne s’attendait pas à ce que les données amassées apportent des informations intéressantes, et les chercheurs ont été surpris lorsqu’ils ont découvert que la vie n’était pas du tout sur pause.
Le zooplancton arctique — de minuscules animaux microscopiques qui se nourrissent d’algues — participe, sous la glace et au beau milieu de la nuit polaire, à ce qu’on appelle la migration verticale. Des créatures marines de tous les océans du monde migrent vers les profondeurs le jour pour se cacher des prédateurs potentiels dans l’obscurité et remontent à la surface la nuit pour se nourrir. La lumière leur sert de repère pour effectuer leur migration, qui ne devrait donc pas se produire pendant la nuit polaire.
Nous comprenons désormais que la nuit polaire foisonne d’activités écologiques. Les rythmes normaux de la vie quotidienne se poursuivent dans les ténèbres. Les palourdes s’ouvrent et se ferment de façon cyclique, les oiseaux de mer chassent dans l’obscurité presque totale, les crevettes fantômes et les escargots de mer se rassemblent dans les forêts de varech pour se reproduire, et des espèces des grandes profondeurs telles que la méduse casquée remontent vers la surface lorsqu’il fait assez noir pour demeurer à l’abri des prédateurs.
Pour la plupart des organismes actifs pendant cette période, la Lune, les étoiles et les aurores boréales constituent probablement des indices qui guident leur comportement, en particulier dans les parties de l’Arctique non couvertes par la glace de mer. Mais à mesure que le climat de l’Arctique se réchauffe et que les activités humaines s’y intensifient, une lumière artificielle trop forte rend ces sources de lumière naturelle invisibles en de nombreux endroits.
Les aurores boréales dansent dans le ciel de Tromsø, Norvège. Muratart/Shutterstock
Lumière artificielle
Près d’un quart de toutes les masses terrestres sont exposées à la lumière artificielle répandue la nuit dans l’atmosphère et réfléchie vers le sol. Il reste peu d’endroits vraiment sombres, et la lumière des villes, des littoraux, des routes et des navires est visible jusque dans l’espace.
La pollution lumineuse se perçoit jusque dans les régions peu peuplées de l’Arctique. Les routes maritimes, l’exploration pétrolière et gazière ainsi que la pêche y progressent à mesure que la glace de mer disparaît, créant de la lumière artificielle dans la nuit polaire, qui serait sinon parfaitement noire.
Des créatures qui ont pris des millions d’années pour s’adapter à la nuit polaire sont désormais exposées à la lumière artificielle. Michael O. Snyder, Author provided
Aucun organisme n’a eu la possibilité de s’adapter véritablement à ces changements étant donné que l’évolution se fait sur une échelle de temps beaucoup plus grande. Les mouvements harmoniques de la Terre, de la Lune et du Soleil fournissent des indices aux animaux de l’Arctique depuis des millénaires. De nombreux événements biologiques, tels que les migrations, la quête de nourriture et la reproduction, se sont adaptés à leur prévisibilité.
Dans une étude récente menée dans l’archipel du Svalbard, dans le Haut-Arctique, les feux de position d’un navire de recherche ont affecté les poissons et le zooplancton à au moins 200 mètres de profondeur. Perturbées par la soudaine intrusion de lumière, les créatures qui tournoyaient sous la surface ont fortement réagi, soit en nageant vers le faisceau, soit en s’en éloignant brusquement.
Il est difficile de prédire l’effet de la lumière des bateaux qui naviguent depuis peu dans l’Arctique libre de glace sur les écosystèmes qui connaissent l’obscurité de la nuit polaire depuis bien avant l’existence de l’homme moderne. Si la manière dont ils seront affectés par la présence humaine croissante dans l’Arctique est préoccupante, les chercheurs se posent d’autres questions complexes. Étant donné qu’une grande partie des informations que nous avons recueillies sur l’Arctique l’a été par des scientifiques naviguant sur des bâtiments éclairés, dans quelle mesure l’état de l’écosystème rapporté est-il « naturel » ?
La recherche dans l’Arctique pourrait se transformer au cours des prochaines années afin de réduire la pollution lumineuse. Michael O. Snyder, Author provided
L’océanographie est sur le point d’entrer dans une nouvelle ère dans l’Arctique avec des plates-formes autonomes et télécommandées, capables de fonctionner sans lumière et de prendre des mesures dans l’obscurité totale.
Des forêts sous-marines
À mesure que la glace de mer se retire des côtes du Groenland, de la Norvège, de l’Amérique du Nord et de la Russie, les périodes où les eaux sont libres de glace s’allongent et la lumière atteint davantage le fond marin. La lumière du jour se rend aujourd’hui jusqu’à des écosystèmes côtiers qui étaient cachés sous la glace depuis 200 000 ans. Cela pourrait être une très bonne nouvelle pour les plantes marines comme le varech — ces grandes algues brunes qui croissent dans l’eau froide lorsqu’elles ont suffisamment de lumière et de nutriments.
Ancrées au fond de la mer et flottant avec la marée et les courants, certaines espèces de varechs peuvent atteindre 50 mètres — ce qui correspond environ à la hauteur de la colonne Nelson du Trafalgar Square, à Londres. Mais on ne trouve généralement pas de varech sous les plus hautes latitudes en raison de l’ombre produite par la glace de mer et de son effet d’affouillement sur les fonds marins.
Des alarias, ou wakamés irlandais, au large des côtes du Nunavut dans l’Arctique canadien. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Ces luxuriantes forêts sous-marines sont appelées à croître et à proliférer à mesure que la glace de mer se raréfie. Mais les varechs ne sont pas une nouveauté dans l’Arctique. Ils ont déjà fait partie du régime alimentaire des habitants du Groenland, et des chercheurs et explorateurs polaires en ont observé le long des littoraux du nord il y a plus d’un siècle.
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Certaines espèces de varechs pourraient avoir colonisé les côtes arctiques après la dernière période glaciaire ou s’être répandues à partir de petits îlots. Mais la plupart des forêts de varech de l’Arctique sont petites et limitées à des zones en eaux profondes, contrairement aux vastes étendues d’algues qui bordent des côtes comme celles de la Californie, aux États-Unis.
Un plongeur explore une forêt de laminaires sucrées de quatre mètres de haut près de l’île Southampton, au Canada. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Des données récentes en provenance de Norvège et du Groenland montrent que les forêts de varech sont en expansion et que leur aire de répartition monte vers les pôles. De plus, ces plantes océaniques devraient devenir plus grosses et croître plus rapidement à mesure que l’Arctique se réchauffe, créant des habitats pour de nombreuses espèces. L’étendue totale des forêts de varech de l’Arctique reste en grande partie cachée et inexplorée, mais la modélisation peut aider à déterminer dans quelle mesure elles se sont déplacées vers l’Arctique et y ont crû depuis les années 1950.
Emplacements connus des forêts de varech et tendances mondiales selon l’augmentation prévue de la température moyenne de surface en été au cours des vingt prochaines années, d’après les modèles du GIEC. Filbee-Dexter et al. (2018), Author provided
Un nouveau puits de carbone
Bien qu’il existe de grandes algues de toutes sortes de formes et de tailles, beaucoup ressemblent à des arbres, avec leurs longues tiges à l’allure de troncs flexibles appelées stipes. La canopée de la forêt de varech est remplie de lames plates comme des feuilles, avec des crampons qui agissent comme des racines en ancrant les algues sur les rochers.
Certains types d’algues arctiques peuvent atteindre plus de dix mètres et former de grandes voûtes suspendues dans la colonne d’eau, avec un sous-étage ombragé et protégé. Tout comme les forêts terrestres, ces forêts marines fournissent des habitats, des zones de reproduction et des aires d’alimentation à de nombreux animaux et poissons, dont la morue, la goberge, le crabe, le homard et l’oursin vert.
Les forêts de varech offrent de nombreux coins et racoins où se poser[JG3], ce qui les rend riches en faune. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Les varechs sont des plantes à croissance rapide qui stockent du carbone dans leur tissu caoutchouteux. Comment leur expansion dans l’Arctique peut-elle influencer le climat mondial ? Tout comme la restauration des forêts sur terre, la progression de forêts de varech peut contribuer à ralentir les changements climatiques en captant le carbone de l’atmosphère.
De plus, une partie du varech se détachera et sera emporté des eaux côtières vers les profondeurs de l’océan, se trouvant ainsi retiré du cycle du carbone de la Terre. L’expansion des forêts de varech le long des vastes littoraux arctiques pourrait former un puits de carbone qui capterait les émissions de CO2 des humains et les emprisonnerait dans les profondeurs de l’océan.
Ce qui se produit dans l’Arctique avec le varech est plutôt unique — dans la plupart des autres régions du monde, ces forêts océaniques sont menacées. Les forêts de varech de la planète sont généralement en déclin, en raison des vagues de chaleur océaniques, de la pollution, du réchauffement et de l’apparition de brouteurs comme l’oursin vert.
Les nouvelles ne sont pas toutes bonnes. Le déplacement des forêts de varech pourrait repousser une faune unique vers le Haut-Arctique. Les algues vivant sous la glace n’auront nulle part où aller et risquent de disparaître complètement. Des espèces de varechs de régions plus tempérées pourraient remplacer les varechs arctiques endémiques comme la Laminaria solidungula.
Un crabe trouve refuge sur une Laminaria solidungula — seule espèce de varech endémique dans l’Arctique. Ignacio Garrido/ArcticKelp, Author provided
Mais le varech n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’espèces qui avancent de plus en plus profondément dans la région à mesure que la glace fond.
Invasions arctiques
Milne Inlet, dans le nord de l’île de Baffin, au Nunavut, accueille plus de trafic maritime que tout autre port de l’Arctique canadien. Presque tous les jours pendant la période d’eau libre, des navires de 300 mètres de long quittent le port chargés de minerai de fer provenant de la mine Mary River située à proximité. De 71 à 82 navires traversent la région chaque année, la plupart originaires des ports d’Europe du Nord.
Des paquebots de croisière, des navires de la garde côtière, des yachts de plaisance, des brise-glaces de recherche scientifique, des cargos de ravitaillement et des bateaux pneumatiques remplis de touristes naviguent également dans la région. Le réchauffement sans précédent et la diminution de la glace de mer ont attiré de nouvelles industries et activités dans l’Arctique. Des localités comme Pond Inlet ont vu leur trafic maritime tripler au cours des vingt dernières années.
Les passagers d’un navire de croisière arrivent à Pond Inlet, au Nunavut. Kimberly Howland, Author provided
Des navires en provenance d’un peu partout dans le monde naviguent dans l’Arctique et il arrive qu’ils aient pris des passagers clandestins aquatiques à Rotterdam, à Hambourg, à Dunkerque ou ailleurs. Des espèces animales — dont certaines trop petites pour être visibles à l’œil nu —, se cachent dans l’eau de ballast pompée dans les citernes pour stabiliser le navire.
Elles peuvent aussi se fixer à la coque et à d’autres surfaces extérieures, provoquant ce qu’on appelle de « l’encrassement biologique ».
Certaines survivent au voyage vers l’Arctique et sont rejetées dans l’environnement lors du délestage de l’eau de ballast et du chargement de la cargaison. Celles qui restent accrochées à la coque peuvent libérer des œufs, du sperme ou des larves.
Beaucoup de ces organismes sont inoffensifs, mais certains sont de nouveaux venus qui peuvent devenir envahissants et causer des dommages. Des études canadiennes et norvégiennes ont démontré que des espèces envahissantes non indigènes comme la balane imprévue et la coronule peuvent survivre au voyage jusque da ans l’Arctique. Cela représente un risque pour les écosystèmes de la région étant donné que les espèces envahissantes sont l’une des principales causes d’extinction dans le monde.
De nouvelles routes
La préoccupation concernant les espèces envahissantes s’étend bien au-delà de la communauté de Pond Inlet. Environ 4 millions de personnes vivent dans l’Arctique, souvent le long des côtes qui fournissent des nutriments et un habitat à divers animaux comme l’omble chevalier, le phoque annelé, l’ours polaire, la baleine boréale sans compter les millions d’oiseaux migrateurs.
Avec la fonte de la glace de mer pendant les mois d’été, de nouvelles routes de navigation s’ouvrent le long du littoral russe et par le passage du Nord-Ouest. Certains pensent qu’une route transarctique pourrait bientôt être navigable. Shutterstock
Avec le réchauffement des eaux, la saison de navigation s’allonge et de nouvelles routes, comme le passage du Nord-Ouest et la route maritime du Nord (le long de la côte arctique russe), s’ouvrent. Certains chercheurs croient qu’une route transarctique qui traverse le pôle Nord pourrait être navigable d’ici le milieu du siècle. La hausse du trafic maritime augmente le nombre et les types d’organismes transportés dans les eaux arctiques et les conditions de plus en plus hospitalières améliorent leurs chances de survie.
La prévention est la meilleure méthode pour empêcher les espèces envahissantes de pénétrer dans l’Arctique. La plupart des navires doivent traiter leur eau de ballast, que ce soit à l’aide de produits chimiques et d’autres procédés ou en les renouvelant pour limiter le transport d’organismes nuisibles vers de nouveaux sites. Les lignes directrices recommandent également qu’on utilise des revêtements spéciaux pour la coque des navires et qu’on la nettoie régulièrement pour éviter l’encrassement biologique. Mais ces mesures de prévention ne sont pas toujours fiables, et on connaît mal leur efficacité dans les milieux froids.
Une autre approche possible consiste à repérer les envahisseurs le plus tôt possible après leur arrivée afin d’augmenter les chances de les éradiquer. Mais la détection précoce nécessite une surveillance à grande échelle, ce qui peut être difficile à mettre en place dans l’Arctique. Garder un œil sur l’arrivée d’une nouvelle espèce, cela ressemble à chercher une aiguille dans une botte de foin, mais des collectivités du Nord ont peut-être une solution.
Des scientifiques de Norvège, de l’Alaska et du Canada ont découvert une façon de rendre cette recherche plus facile en identifiant les espèces qui ont causé des dommages ailleurs et qui pourraient survivre dans les conditions environnementales de l’Arctique. On a trouvé près de deux douzaines d’espèces qui auraient de fortes possibilités de s’implanter dans l’Arctique canadien.
Le crabe royal a été introduit volontairement dans la mer de Barents dans les années 1960. Il se propage maintenant vers le sud le long de la côte norvégienne. Shutterstock
Parmi celles-ci, on trouve le crabe royal qui provient de la mer du Japon, de la mer de Béring et du Pacifique Nord et qui est adapté au froid. Il a été introduit dans la mer de Barents dans les années 1960 pour l’industrie de la pêche, mais il s’étend désormais vers le sud le long de la côte norvégienne et dans la mer Blanche. Il s’agit d’un grand prédateur vorace responsable du déclin de mollusques cultivés, d’oursins et d’autres espèces de fond plus grandes et se déplaçant lentement, avec une forte probabilité de survivre au transport dans les eaux de ballast.
Une autre espèce invasive est le bigorneau, qui broute des plantes aquatiques luxuriantes dans les habitats du littoral, laissant derrière lui les rochers nus ou granuleux. Il a également introduit sur la côte est de l’Amérique du Nord un parasite responsable de la maladie des points noirs, qui stresse les poissons adultes et rend leur goût désagréable, tue les juvéniles et cause des dommages intestinaux aux oiseaux et aux mammifères qui s’en nourrissent.
A la chasse au matériel génétique
Si de nouvelles espèces comme celles-ci devaient arriver à Pond Inlet, elles pourraient affecter les stocks de poissons et de mammifères dont les gens se nourrissent. Après seulement quelques années de navigation, une poignée d’espèces probablement non indigènes ont déjà été découvertes, dont le [ver polychète Marenzelleria viridis](https://invasions.si.edu/nemesis/browseDB/SpeciesSummary.jsp ?TSN=-47), une espèce envahissante, ainsi qu’un amphipode tubicole. Ces deux espèces sont connues pour atteindre une densité élevée, modifier les sédiments du fond marin et concurrencer les espèces indigènes.
Un cargo passe par Milne Inlet, au Nunavut. Kimberly Howland, Author provided
Baffinland, la société qui exploite la mine Mary River, souhaite doubler sa production annuelle de minerai de fer. Si l’expansion se poursuit, jusqu’à 176 minéraliers passeront par Milne Inlet pendant la saison d’eau libre.
Quoique l’avenir du transport maritime dans l’Arctique soit incertain, il s’agit d’une tendance à la hausse qu’il faut surveiller. Au Canada, des chercheurs travaillent avec des partenaires autochtones dans des localités où la navigation est très active, notamment à Churchill, au Manitoba, à Pond Inlet et à Iqaluit, au Nunavut, à Salluit, au Québec et à Nain, à Terre-Neuve, afin d’instaurer un réseau de surveillance des espèces envahissantes. L’une des approches consiste à collecter de l’eau et à la tester pour y détecter du matériel génétique provenant des écailles, des excréments, du sperme et d’autres matériaux biologiques.
En 2019, des membres d’une équipe de terrain de Pond Inlet et de Salluit filtrent l’ADNe des échantillons d’eau prélevés à Milne Inlet. Christopher Mckindsey, Author provided
L’ADN environnemental (ADNe) est facile à recueillir et permet de déceler des organismes qui seraient autrement difficiles à capturer ou qui sont peu abondants. Cette technique a égalementpermis d’améliorer les connaissances de base sur la biodiversité côtière dans d’autres zones où le trafic maritime est élevé, une étape fondamentale pour détecter les changements à venir.
Certaines espèces non indigènes ont déjà été repérées dans le port de Churchill grâce à la surveillance par ADNe et à d’autres méthodes d’échantillonnage. Il s’agit entre autres de la méduse, de l’éperlan arc-en-ciel et d’une espèce de copépodes envahissants.
Des démarches sont en cours pour étendre ces recherches à tout l’Arctique dans le cadre de la Stratégie sur les espèces exotiques envahissantes du Conseil de l’Arctique afin de réduire la propagation des espèces envahissantes.
L’Arctique est souvent appelé la ligne de front de la crise climatique et, en raison du rythme rapide de son réchauffement, la région est touchée par toutes sortes d’invasions, qu’il s’agisse de nouvelles espèces ou de nouvelles routes maritimes. Ces éléments pourraient complètement remodeler le bassin océanique au cours de notre vie, et ces vastes étendues gelées, éclairées par les étoiles et peuplées de communautés uniques d’organismes hautement adaptés pourraient être complètement bouleversées.
Les changements adviennent si rapidement dans l’Arctique que les scientifiques n’arrivent même pas à en rendre compte, mais il y aura des événements, comme la croissance de puits de carbone, qui pourraient profiter à sa faune et à ses habitants. Les changements de notre monde en réchauffement ne seront pas que négatifs. Dans l’Arctique, comme ailleurs, il y aura des gagnants et des perdants.
Jørgen Berge, Vice Dean for Research, Arctic and Marine Biology, University of Tromsø; Carlos Duarte, Adjunct Professor of Marine Ecology, King Abdullah University of Science and Technology; Dorte Krause-Jensen, Professor, Marine Ecology, Aarhus University; Karen Filbee-Dexter, Research Fellow in Marine Ecology, Université Laval; Kimberly Howland, Research Scientist/Adjunct University Professor, Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Philippe Archambault, Professor & Scientific Director of ArcticNet, Université Laval
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.
Thumbnail : AP Photo/Felipe Dana
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