Le bilan énergétique de la Terre n’est pas à l’équilibre. Doit-on s’inquiéter?
Le dernier rapport de l’Organisation météorologique mondiale sur l’état du climat indique que la moyenne globale de la température en 2022 était 1,15 °C au-dessus de la moyenne de 1850-1900 (période de référence préindustrielle). Et, de surcroît, que les huit dernières années ont été les plus chaudes depuis le début des relevés de température instrumentale il y a 173 ans.
En d’autres termes, le système climatique n’est pas en équilibre, et ça, depuis plusieurs décennies.
L'auteure est une experte en sciences de l’atmosphère qui propose d’apporter un éclairage sur le déséquilibre énergétique de la Terre et ses conséquences sur l’humanité.
Le déséquilibre énergétique de la Terre
Le rayonnement solaire est pratiquement la seule source d’énergie de la Terre, les autres sources d’énergie – comme la chaleur de l’intérieur de la Terre et l’énergie marémotrice – étant négligeables. La Terre réfléchit environ 30 % du rayonnement solaire et émet du rayonnement vers l’espace.
Les gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane) laissent passer le rayonnement solaire, mais pas le rayonnement émis par la Terre, piégeant ainsi l’énergie. La température moyenne près de la surface de la Terre, qui est de 15 °C, serait autour de -19 °C sans l’effet de serre.
Si la différence entre l’énergie entrante – le rayonnement solaire – et sortante – la somme du rayonnement solaire réfléchi par la Terre et le rayonnement émis par la Terre – n’est pas égale à zéro, comme c’est le cas actuellement, on parle alors du déséquilibre énergétique de la Terre (Earth Energy Imbalance, EEI).
C’est l’activité humaine, à travers l’émission de gaz à effet de serre (entraînant un effet de serre additionnel), qui a causé le déséquilibre énergétique de la Terre.
Mais donc, où s’accumule l’énergie excédentaire? Elle s’accumule, sous forme de chaleur, dans les différentes composantes du système climatique (atmosphère, surfaces continentales, hydrosphère, cryosphère, biosphère). Et c’est ce qui explique que la Terre se réchauffe, ou plus globalement, le réchauffement climatique.
L’océan, accumulateur de chaleur
La création d’un inventaire de la chaleur de la Terre, issu d’un effort international, est indispensable afin de mieux comprendre l’impact du déséquilibre énergétique de la Terre sur le système climatique.
Un tel inventaire correspondant à la période 1960-2020 est fourni par une étude publiée récemment. Cette étude montre que le système terrestre accumule de la chaleur depuis 1971. De plus, le taux d’accumulation de chaleur correspondant à la période 2006-2020 est plus élevé que celui correspondant à la période 1971-2020.
La plupart de la chaleur excédentaire s’est accumulée dans l’océan (89 %), principalement dans sa couche supérieure (0-700 m). La chaleur excédentaire résiduelle s’est accumulée dans la terre (continents) (6 %) et l’atmosphère (1 %), et a provoqué la fonte des composantes de la cryosphère – les glaciers, les calottes glaciaires et la glace marine – (4 %).
Inventaire de chaleur de la Terre montrant le pourcentage de chaleur accumulée dans les différentes composantes du système climatique sur les périodes 2006–2020 et 1971–2020, ainsi que le gain total en chaleur sur la période 1971–2020. (Schuckmann et coll., 2023)
En plus d’accumuler de la chaleur excédentaire, l’océan est aussi un important puits de CO2, jouant ainsi un rôle essentiel dans la régulation du climat. Cependant, l’océan va devenir moins efficace dans la capture de CO2 avec l’augmentation des émissions cumulatives de ce gaz. Pourquoi? En raison de la rétroaction positive entre le réchauffement de l’océan et la diminution de la capacité des océans d’absorber le CO2.
Malheureusement, l’état actuel de l’océan est inquiétant. En 2022, le contenu thermique des océans a atteint un record, et 58 % de la surface de l’océan a subi au moins une vague de chaleur marine. Depuis la mi-mars cette année, la température moyenne à la surface de l’océan est la plus élevée jamais observée depuis le début des données satellitaires. Entre autres impacts négatifs sur les écosystèmes marins, les vagues de chaleur marines provoquent des événements de blanchissement des coraux.
Les conséquences du déséquilibre
Le réchauffement climatique a des impacts négatifs sur l’humanité et les écosystèmes, tel que nous rappelle le récemment publié Rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Ce rapport nous avertit que, actuellement, entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes qui sont très vulnérables au réchauffement climatique.
Et les personnes qui habitent dans les zones côtières sont particulièrement touchées. Le risque d’inondations côtières augmente avec l’élévation du niveau de la mer, qui est principalement due à l’expansion thermique de l’océan et à la fonte de la glace terrestre des glaciers et des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland. Pour donner quelques chiffres, les contributions de l’expansion thermique de l’océan et de la fonte de glace terrestre à l’élévation du niveau de la mer ont été, respectivement, de 55 % et 36 %, pour la période 2005-2019.
Le réchauffement climatique n’est pas seulement une menace pour notre santé physique, mais aussi pour notre santé mentale. En effet, les évènements climatiques extrêmes (ouragans, tempêtes) peuvent provoquer des traumatismes. Les changements dans les variables climatiques (sécheresse) peuvent provoquer un sentiment d’incertitude et de désespoir. Et la prise de conscience liée changements climatiques peut provoquer l’écoanxiété.
Comme quoi le déséquilibre du système climatique nous mène à notre propre déséquilibre.
Étant donné les multiples avertissements de la communauté scientifique sur les conséquences néfastes des changements climatiques sur nos sociétés, on pourrait se poser la question suivante : est-ce que le réchauffement climatique pourrait provoquer l’effondrement de la société à l’échelle mondiale, ou même l’extinction de l’être humain?
Malheureusement, ce sujet n’a pas reçu l’attention qu’il mérite, ont dénoncé Kemp, chercheur au Centre pour l’étude du risque existentiel à l’Université de Cambridge, et ses collègues l’année dernière. Les chercheurs ont proposé un programme de recherche auquel ils ont donné le nom évocateur de « fin de partie climatique ».
Solution gagnant-gagnant : zéro émission nette
Revenons à l’origine du problème… La Terre continuera à se réchauffer aussi longtemps que ce déséquilibre énergétique persistera. L’émission anthropique de gaz à effet de serre étant principalement responsable du déséquilibre énergétique de la Terre, la solution est en principe simple : il faut réduire ces émissions à zéro.
Qu’est-ce que nous pouvons faire au niveau individuel? Nous pouvons réduire notre contribution aux changements climatiques en utilisant des moyens de transport actif (la marche et le vélo), en consommant moins de viande et de produits laitiers, en réduisant le gaspillage alimentaire et en améliorant l’efficacité énergétique de notre maison, entre autres actions.
La partie climatique n’est, donc, pas encore terminée. À nous de décider si nous voulons résoudre la crise climatique.
Mais la fenêtre d’opportunité est en train de se refermer très rapidement…
Cet article de de Marta Moreno Ibáñez, candidate au doctorat en sciences de la Terre et de l'atmosphère à l'UQAM, est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image bannière : la centrale au charbon Dave Johnson au Wyoming en 2006 (Greg Goebel/Wikimedia)