L’étrange cas de La Niña dans un monde en réchauffement

Les effets de trois années consécutives de La Niña se font sentir partout dans le monde et des chercheurs veulent en savoir plus sur l’impact des changements climatiques sur ces phénomènes.

On se prépare à connaître un troisième hiver de suite sous l’effet de La Niña, c'est confirmé aujourd’hui par l’Organisation météorologique mondiale. C’est seulement la troisième fois que cela se produit depuis les années 50 et la première au 21e siècle. Selon l’OMM, « La Niña devrait laisser place à des conditions ENSO neutres en février-avril 2023 (probabilité de 55 %) ou, plus probablement, en mars-mai 2023 (probabilité de 70 %). »

Au Canada, les années sous le signe de La Niña sont caractérisées par des précipitations plus abondantes sur la Colombie-Britannique et la région des Grands Lacs, des températures plus froides dans les Prairies et les régions nordiques, et des temps plus doux sur la côte est.

Les effets de La Niña se font sentir partout, des sécheresses sur la côte ouest aux inondations en Australie et en Asie du Sud-Est, causant des milliards de dollars en pertes et dommages. C’est sans compter l’effet sur la santé des populations affectées.

El Niño et La Niña reviennent tous les trois à sept ans. Puisque les huit dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, on est en droit de se demander si les changements climatiques jouent un rôle dans cet étrange épisode de trois ans de La Niña.

Avant de se lancer dans le vif du sujet, revoyons quelques concepts de base.

La Niña est la phase froide du système El Niño-oscillation australe (ENSO), un phénomène complexe à l’origine de grandes variations climatiques d’une année à l’autre dont les effets sont ressentis à l’échelle planétaire. Il est caractérisé par des changements dans les eaux du Pacifique. Normalement, les vents au-dessus de l’équateur soufflent fort de l’est vers l’ouest, ce qui pousse de l’eau plus chaude vers l’ouest et cause une accumulation d’eau froide le long des côtes de l’Amérique du Sud.

Pendant un épisode El Niño, ces vents sont plus faibles, ce qui permet à l’eau chaude de se déverser vers l’est, entraînant des changements dans les tendances météo.

Cependant, lorsque c’est La Niña qui sévit, les vents d’est en ouest s’intensifient et poussent l’eau chaude de surface encore plus à l’ouest. L’eau froide remonte alors des profondeurs des océans à l’est.

La pression atmosphérique au-dessus de l’océan Pacifique réagit aux différentes phases du phénomène ENSO. Le courant-jet apporte alors plus de tempêtes hivernales vers l’Amérique du Nord.

Rodrigo Bombardi, directeur des sciences du climat à Weather Source, confirme qu’il est très rare qu’un épisode dure aussi longtemps, mais il nous a expliqué que l’incertitude plane concernant les effets des changements climatiques sur El Niño et La Niña.

« Il est difficile d’établir un lien de cause à effet entre les changements climatiques et le système ENSO. Les changements climatiques opèrent à un rythme beaucoup plus lent à l’échelle globale qu'El Niño et La Niña. »

La corrélation entre les émissions de GES et le réchauffement des océans est bien établie par des scientifiques réputés. Cependant, on navigue dans des eaux plus troubles lorsqu’on tente de séparer les changements naturels de la température océanique durant El Niño du réchauffement climatique causé par les GES.

M. Bombardi explique que les données historiques sur le phénomène ENSO sont limitées, c’est donc un défi pour les chercheurs de comprendre les tendances à long terme. Cependant, tous les phénomènes météorologiques se produisent maintenant dans une atmosphère réchauffée par les activités humaines, ce qui tend à empirer les inondations, les tempêtes et les sécheresses.

« Nous savons que les changements climatiques ont un impact sur la météo extrême. On peut donc s’attendre à ce que les sécheresses causées par El Niño ou les inondations causées par La Niña soient empirées à cause des changements climatiques. »

M. Bombardi précise : « Il y a certaines régions qui n’auraient pas connu de conditions aussi persistantes découlant de La Niña ou El Niño. Plusieurs activités humaines et économiques dépendent de la météo, alors la société devra s’adapter à des conditions plus difficiles. Par exemple, je viens du Brésil, où 70 % de l’énergie est hydroélectrique. S'il ne pleut pas, on verra un impact sur la production d’énergie. »

Les climatologues ont passé des années à étudier les impacts des changements climatiques sur le phénomène ENSO et on commence à voir des résultats plus concluants. Une étude récente parue dans Nature Communications révèle que La Niña et El Niño pourraient augmenter en puissance dans l’est du Pacifique entre 2024 et 2036 à cause du réchauffement planétaire, et ce, plusieurs décennies plus tôt que prévu.

Les scientifiques ont analysé le phénomène ENSO depuis 1950 et réalisé des simulations de scénarios futurs selon différents modèles climatiques. Les résultats démontrent que le réchauffement des eaux de l’est du Pacifique entraînera des épisodes El Niño plus puissants qui amèneront beaucoup de chaleur à la surface de l’océan, augmentant ainsi la probabilité d’épisodes La Niña plus longs et intenses.

Dans une entrevue à Bloomberg, Richard Seager, un chercheur à l’observatoire Lamont-Doherty de la Columbia University, explique le travail de son équipe pour comprendre si les changements climatiques influencent La Niña. Ils croient que les épisodes La Niña pourraient se prolonger et s’intensifier à cause du réchauffement climatique, mais ils notent que davantage de recherche est nécessaire avant d’en tirer des conclusions nettes. D’autres chercheurs sonnent l’alarme en anticipant une version plus intense des cycles de froid et de chaleur liés au système ENSO.

« Les événements extrêmes reliés à El Niño et La Niña pourraient devenir plus fréquents dans des scénarios d’émissions agressives de GES, passant d’une fois en 20 ans à une fois tous les 10 ans d’ici la fin du 21e siècle », a déclaré Michael McPhaden, scientifique senior au Pacific Marine Environmental Laboratory de la NOAA dans un article. « Les phénomènes pourraient devenir encore plus extrêmes qu’ils le sont maintenant. »

Il n’y a pas de consensus clair sur la relation entre le phénomène ENSO et les changements climatiques, mais une chose est sûre : la rarissime triple Niña que nous connaissons présentement constitue une source de données précieuses pour les chercheurs.

Selon des renseignements compilés par Isabella O'Malley, journaliste à The Weather Network.

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