Le lien entre les feux en Alberta et l’industrie pétrolière
Une étude suggère que les 88 compagnies les plus polluantes portent la responsabilité pour près de 40 % des terres touchées par les feux de forêt dans l’Ouest canadien. De ces 88, 5 sont des compagnies canadiennes. D’après un reportage de Doug Johnson.
En bref
Des chercheurs ont évalué la part de responsabilité des secteurs du pétrole, du charbon et du ciment pour les feux de forêt dans l’Ouest.
Les 88 compagnies les plus polluantes sont responsables de 37 % de l’aire forestière brûlée entre 1986 et 2021.
De ces 88 compagnies, 5 sont canadiennes. Ensemble, elles sont responsables de 0,5 % des émissions mondiales de GES.
Les émissions provenant d’un groupe d’entreprises dans les secteurs des énergies fossiles et du ciment sont reliées à la fréquence et l’intensité accrues des feux dans l’ouest du continent, selon une nouvelle étude parue dans la revue scientifique Environmental Research Letters.
Cette étude fait partie d’un courant scientifique en essor, la science d’attribution, qui cherche à clarifier et à quantifier le lien entre les changements climatiques et les émissions de GES provenant de diverses sources (comme les industries), ainsi que leur contribution aux événements de météo extrême.
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« On voulait mettre en lumière le rôle du secteur des énergies fossiles dans les changements climatiques, » a affirmé Kristina Dahl, une des auteurs de l’étude et chercheuse dans le programme Climat et énergie de l’Union of Concerned Scientists, à The Weather Network.
Les recherches ont commencé il y a un peu plus d’un an. Dahl et ses collègues de l’Université de Californie à San Francisco se sont penchés sur le lien entre les émissions provenant du secteur des énergies fossiles et les feux de forêt dans l’Ouest.
Généralement, les études sur l’attribution des changements climatiques reposent sur des simulations avec ou sans émissions de sources humaines, en laissant les autres facteurs intacts. Cela nous permet de comprendre à quel point un événement climatique est plus probable ou plus intense selon différents scénarios d’émissions de GES.
Dahl et ses collègues ont pris une approche un peu différente. Premièrement, ils ont regardé les données compilées entre 1850 et 2014 pour savoir combien de pétrole, de charbon et de ciment ont été produits par les 88 compagnies les plus polluantes — les Big 88. Ensuite, ils ont pu extrapoler en ce qui a trait aux émissions pour chaque compagnie dans ces secteurs.
En tout, 30 modèles ont été utilisés dans l’étude. Ils ont pu démontrer selon les recherches antérieures que les émissions des Big 88 ont augmenté la température moyenne mondiale. Puis, ils ont démontré que les augmentations de température sont fortement liées au déficit hygrométrique — en d’autres mots, le degré de sécheresse d’une région. Avec ces deux données, ils ont pu calculer à quel point la sécheresse a contribué à l’étendue des feux au fil des ans.
Une image satellite des feux de 2021 en Colombie-Britannique, qui ont couvert la région d’un épais nuage de fumée. (Source : NOAA)
Les 88 compagnies sont responsables de 48 % de l’augmentation du déficit hygrométrique dans la région entre 1901 et 2021, selon leurs résultats. De plus, leurs émissions sont liées à 37 % de l’aire forestière brûlée entre 1986 et 2021.
Dahl explique : « On a fouillé dans une tonne de données et trouvé des signaux très cohérents qui montrent que quand la température globale augmente, le déficit hygrométrique dans cette région augmente aussi. Genre, il fait plus chaud. La chaleur a tendance à tout faire sécher. C’est très logique. »
Cinq compagnies parmi les Big 88 sont canadiennes : Canadian Natural Resources (à ne pas confondre Ressources naturelles Canada, le ministère), EnCanada, Husky, Suncor, et Talisman. Dahl a tabulé les chiffres et affirme que ces compagnies sont respectivement responsables de 0,095, 0,122, 0,057, 0,113 et 0,074 % des émissions mondiales de GES.
Elle clarifie que parmi les Big 88, une poignée de compagnies sont particulièrement coupables, dont Exxon Mobil qui est à elle seule responsable de 2,5 % des émissions à l’échelle mondiale. Les compagnies canadiennes se retrouvent plutôt au milieu du peloton des pollueurs, et la contribution du Canada est semblable à celle d’autres pays au même niveau économique comme l’Australie, le Royaume-Uni et l’Italie.
Selon elle, les études d’attribution pourraient devenir chose plus commune alors que les communautés cherchent des responsables pour payer les dommages qu’elles encourent lorsque, par exemple, elles sont inondées à la suite de la montée des eaux causée en grande partie par les changements climatiques. La science d’attribution est déjà invoquée en justice climatique, et ce n’est qu’un départ pour une science en ébullition.
«Je pense qu’on commence à voir des progrès dans plusieurs de ces cas. Vous savez, les procédures judiciaires sont longues et lentes et prolongées, mais on voit des signaux qui suggèrent que les cas vont aller de l’avant. »
D'après un reportage original de Doug Johnson, journaliste à la section Climat de The Weather Network. Lisez l'article original.
Image bannière : fumée et nuages dans le ciel de l’Alberta le 14 mai 2023 (Source : Kyle Brittain)