Protéger la diversité génétique pour mieux faire face à l’adversité
Une érosion sans précédent de la diversité génétique s’observe actuellement chez les espèces rares comme les espèces les plus communes. Explications par Anne-Laure Ferchaud, Postdoctorante en génomique de la conservation à l'Université Laval.
Face à la crise de biodiversité qui s’opère actuellement, il est plus que jamais crucial d’adopter une transformation du rapport de la société à la nature, pour conserver et soutenir des écosystèmes résilients. Cette transformation exige un suivi permanent impliquant des mesures de progrès pertinentes et fiables, pour tous les niveaux de biodiversité. Quels sont ces niveaux ?
En biologie, on en reconnaît généralement trois : la diversité génétique, la diversité des espèces et la diversité des écosystèmes. Depuis 1992, la Convention sur la diversité biologique (CBD) des Nations unies – traité international dont le but général est d’encourager des mesures qui conduiront à un avenir durable – s’est engagée à les conserver.
Alors que la CBD s’affaire à protéger les espèces de l’extinction et à préserver les écosystèmes terrestres et aquatiques, des objectifs ambitieux et quantitatifs sont encore manquants pour la diversité génétique. Or, une érosion sans précédent de cette dernière s’observe actuellement chez les espèces rares comme les espèces les plus communes.
Cette perte est sérieuse ; la diversité génétique est nécessaire aux espèces pour s’adapter à l’intensité et au rythme actuel des changements environnementaux, incluant le changement climatique et les maladies émergentes.
Je cumule plus de 10 ans d’expérience de recherches appliquées dans la conservation d’espèces en péril et la gestion d’espèces exploitées. Au cours des dernières années, j’ai élaboré des avis et recommandations éclairés en termes de gestion des populations pour surveiller et protéger la diversité génétique.
Papillon blanc, papillon noir
Quand on parle de diversité génétique, à quoi réfère-t-on ? À de la variation entre des invididus d’une espèce qui existe au niveau des gènes – encodés dans l’ADN – et qui est transmissible d’une génération à l’autre. L’ADN est un code unique à chaque être vivant sur la Terre. L’ADN est organisé en gènes, qui contiennent les instructions pour faire fonctionner les organismes, de la même façon que plusieurs lettres sont assemblées pour faire des mots qui eux-mêmes permettent de raconter une histoire.
Ainsi, de petites différences dans l’ADN (mutations) peuvent être responsables de changer la couleur des yeux d’un individu, au même titre qu’une lettre peut changer la signification d’un mot. Les différences au niveau de l’ADN parmi tous les individus d’une espèce constituent la diversité génétique de cette espèce.
De ce fait, chez les espèces à forte diversité génétique, il y a beaucoup de modifications au niveau de l’ADN des individus qui sont responsables des différences notables au niveau de certains traits importants qui ne sont pas nécessairement visibles. Ces espèces sont davantage susceptibles de faire face aux changements environnementaux. C’est ce qu’on appelle l’adaptation.
Le cas du papillon poivré en est un parfait exemple : la diversité génétique naturelle chez les papillons poivrés produit différentes couleurs au niveau des ailes, du blanc au noir. Avant la révolution industrielle, les papillons avec des ailes claires étaient les plus communs étant donné leur meilleur camouflage sur des écorces de bouleaux que celui des papillons à ailes foncées. La révolution industrielle a engendré une forte pollution de l’air, allant jusqu’à couvrir les troncs d’arbres et les ternir. Le camouflage des papillons à ailes claires est donc devenu plus difficile, et ils sont rapidement devenus des proies faciles pour les oiseaux. De l’autre côté, les papillons à ailes foncées ont pu commencer à se camoufler aisément sur ces troncs d’arbres noirs. Les papillons à ailes foncées sont devenus donc plus susceptibles de vivre assez longtemps pour se reproduire et avoir une progéniture.
La diversité génétique naturelle chez les papillons poivrés produit différentes couleurs au niveau des ailes, du blanc au noir. (Courtoisie Ian_Redding/Getty Images)
Qui dit faible diversité dit faible survie
À l’inverse, chez une espèce présentant une faible diversité génétique, on retrouve une variété limitée d’allèles (différents états d’un gène), et donc une faible différence observée entre les individus de cette espèce. Cela se traduit simplement par de moins bonnes opportunités de s’adapter à un changement environnemental. Dans l’exemple du papillon poivré, on peut imaginer que si les allèles responsables de coder pour des ailes noires n’avaient pas été présents dans l’espèce (en raison d’une diversité génétique amoindrie), ces derniers auraient probablement succombé à la révolution industrielle.
Les petites populations isolées finissent par perdre de leur diversité génétique, car peu d’individus survivent, se reproduisent et transmettent leurs gènes. Dans ces populations, le choix de partenaires sexuels est également amoindri, forçant les individus à se reproduire avec des individus apparentés ; on parle alors de consanguinité. Les individus consanguins sont connus pour être plus affaiblis et présenter des taux de mortalité de 30 à 40 % plus élevés que des individus issus de croisement d’individus non apparentés. Si la diversité génétique est trop basse, les espèces sont ainsi menées à l’extinction et peuvent être perdues à jamais.
C’est en ce sens que depuis des décennies, les recherches à la fois théoriques et empiriques s’accordent pour dire que la conservation de la diversité génétique améliore nettement la viabilité des espèces. La diversité génétique constitue ainsi le fondement de la résilience en nature, particulièrement pour la survie aux températures et aux évènements climatiques extrêmes qui sévissent.
Nous sommes responsables de l’extinction des espèces
Un triste constat s’ajoute cependant à l’ensemble de ces connaissances : les activités anthropiques sont responsables de la perte de diversité génétique, et ce, à un rythme accablant. La composition génétique d’une espèce est en effet très nettement impactée par la fragmentation d’habitat, qui elle est fortement associée à l’urbanisation ou l’utilisation des terres agricoles. Une récente méta analyse révèle notamment une perte de 6 % de diversité génétique dans les populations sauvages d’une centaine d’espèces depuis la révolution industrielle.
L’impact de l’exploitation des populations sauvages est tout aussi consternant : on observe une diversité génétique des poissons exploités qui est 12 % plus faible que celles de leurs homologues non exploités. Si aucune action de protection n’est prise, on prévoit un déclin de 68 % dans la taille des populations de vertébrés, ce qui se traduirait par une perte de plus de 50 % de diversité génétique pour de nombreuses espèces.
Surveiller et protéger la diversité génétique
Jusqu’à présent, la faible priorité donnée à la protection de la diversité génétique était en partie liée à (i) des lacunes de connaissances dans des domaines clés, notamment l’importance de la diversité génétique, (ii) à la faible disponibilité des données génétiques, ainsi (iii) qu’à l’inaccessibilité des concepts et informations pertinentes par les décideurs. Cependant, de nombreuses avancées pavent désormais la voie à une meilleure intégration de la diversité génétique dans les instruments politiques et les efforts de conservation.
Par exemple, l’essor des nouvelles technologies génétiques a permis de faire exploser la diversité des sources d’échantillons pouvant procurer de l’ADN. Ainsi, l’ADN issu de fossiles, de musées, d’herbiers ou de spécimens archivés peut nous servir à documenter des niveaux de diversité génétique de référence dans le temps.
La variation d’ADN peut aussi désormais être caractérisée à partir de cheveux, de fèces et autres sources non invasives, incluant les méthodes d’échantillonnage de l’ADN environnemental. Tout ceci rend le suivi génétique possible, routinier et abordable, même pour des espèces rares, dangereuses ou insaisissables. Des actions fondées sur des politiques peuvent donc être mises en place pour améliorer le statut de la diversité génétique.
Une lueur d’espoir pour la conservation de la diversité génétique
Enfin, de nouvelles initiatives relient les décideurs à l’expertise, favorisant l’application des données génétiques. Des réseaux tels que le Groupe sur les observations de la Terre de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN)contribuent à la surveillance de la diversité génétique. Ces organisations ont permis de produire des notes d’orientations, des rapports techniques et des tutoriels sur les concepts clés en conservation et les technologies de la génétique. Un article récemment publié dans la revue scientifique Biosciences résume ces développements et invite les nations à élaborer des programmes solides de surveillance de la diversité génétique, ainsi qu’à prendre des engagements formels avant qu’il ne soit trop tard.
La diversité génétique doit être conservée avec la même urgence que la diversité des espèces, pour soutenir la sécurité alimentaire, le bien-être, la culture et l’adaptation.
Chercheurs et professionnels de la conservation doivent travailler avec les décideurs pour un avenir résilient.
Un article rédigé par Anne-Laure Ferchaud, Postdoctorante en génomique de la conservation à l'Université Laval, republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image d'en-tête: éléphant, oryx, zèbres et springboks en Namibie (courtoisie: Westend61/Getty Images)