La vapeur d’eau est un GES et a un impact sur le réchauffement climatique
La vapeur d’eau n’est pas à l’origine du réchauffement, mais contribue à l’empirer en empêchant la Terre de se refroidir. Explications de François-Marie Bréon, physicien-climatologue, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de l'Université Paris-Saclay.
En février 2021, des chutes de neige abondantes se sont produites autour de la centrale nucléaire de Cattenom en Moselle. Le voisinage du site atomique s’est retrouvé recouvert de plusieurs dizaines de centimètres de neige alors que le reste de la région restait sec. L’eau émise par la centrale, nécessaire à son refroidissement, avait condensé et s’était déposée au sol, couvrant la terre d’un manteau blanc.
Cet événement spectaculaire rappelle que les centrales nucléaires équipées d’aéro-réfrigérants injectent de l’eau dans l’atmosphère pour transférer de l’énergie thermique vers l’air extérieur : leurs panaches blancs emblématiques sont formés de gouttelettes d’eau qui s’évaporent rapidement et disparaissent à la vue, mais la vapeur est toujours là (elle est transparente).
Ce que l’on sait peut-être un peu moins, c’est que la vapeur d’eau (H20) est un gaz à effet de serre, c’est-à-dire que sa présence dans l’atmosphère limite la capacité de la Terre à se refroidir en émettant du rayonnement infrarouge vers l’espace. Sa contribution est supérieure à celle du dioxyde de carbone (CO₂) ou du méthane (CH₄), car ces derniers sont présents à l’état de traces : il y a typiquement dix fois plus de vapeur d’eau que de CO2 dans l’atmosphère.
Il est donc naturel de penser que les émissions humaines de vapeur d’eau contribuent à augmenter l’effet de serre et donc à réchauffer le climat. C’est là une mauvaise compréhension du cycle de l’eau. La vapeur d’eau est bien un acteur majeur du réchauffement climatique, d’une façon indirecte appelée « rétroaction », mais pas du fait des émissions des centrales.
La concentration de vapeur d’eau est régulée dans l’atmosphère à basse altitude
L’argument de la vapeur d’eau est un argument parfois mis en avant par des climatosceptiques qui souhaitent relativiser l’impact de nos émissions de CO₂, ou par des antinucléaires qui souhaitent montrer que ces centrales électriques contribuent au réchauffement par leurs émissions de vapeur d’eau.
Notons que d’autres activités humaines émettent de la vapeur d’eau dans l’atmosphère : les cultures irriguées et l’aviation par exemple. La principale activité humaine émettrice de vapeur d’eau est de fait l’agriculture irriguée : une part de l’eau déposée sur les cultures s’évapore et part dans l’atmosphère sans être fixée par la plante. La contribution des cultures irriguées au flux de vapeur d’eau vers l’atmosphère est de l’ordre de 1 000 km³ par an, ce qui est près de 100 fois supérieur à l’impact des centrales thermiques (nucléaire, charbon, gaz).
Toutefois, même si le cycle de l’eau (vapeur et nuages) est une composante majeure du climat, on sait que ces émissions humaines depuis la surface de la Terre n’ont pas d’impact significatif.
En effet, la capacité de l’air à dissoudre de l’eau est physiquement limitée : au-delà d’une certaine concentration, la vapeur va se condenser et devenir liquide. La condensation peut se faire dans l’atmosphère, ce qui conduit à la formation des nuages. Elle peut aussi se faire sur les surfaces froides, ce qui explique la formation de rosée au sol, ou de buée sur les fenêtres. Lorsque les conditions atmosphériques sont favorables, les nuages conduisent à des précipitations, ce qui élimine l’eau de l’atmosphère.
Toute quantité additionnelle de vapeur d’eau injectée dans l’atmosphère depuis la surface va donc condenser puis précipiter, conduisant à un impact climatique négligeable puisque la concentration n’est pas modifiée significativement sur le long terme.
Ainsi, contrairement au CO2, la concentration de vapeur d’eau est régulée dans les couches basses de l’atmosphère, ce qui fait que les émissions additionnelles ont peu d’impact sur la concentration, et donc sur l’effet de serre.
Carte de la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère : elle dépend de la température et donc de la latitude. (FM Bréon/NASA, fourni par l'auteur)
Un impact direct à haute altitude
Attention, ceci est vrai pour les émissions « depuis la surface » de la Terre qui restent dans la partie basse de l’atmosphère, appelée troposphère.
Par contre, la vapeur d’eau injectée en altitude, en particulier par le trafic aérien mais aussi par l’oxydation du méthane, se retrouve dans des couches atmosphériques qui sont souvent loin de la « saturation », et cette vapeur d’eau émise en altitude n’est pas éliminée rapidement par la pluie.
À ces altitudes (haute troposphère et basse stratosphère), les émissions humaines de vapeur d’eau ont donc un impact climatique mesurable. En particulier, la vapeur d’eau apportée par les avions peut conduire, en fonction des conditions de température et de pression, à la formation de nuages élevés (cirrus homogenitus dans la classification internationale des nuages). Ces nuages contribuent à l’effet de serre et renforcent ainsi l’impact de l’aviation sur le climat, en s’ajoutant à l’impact des émissions de CO₂ liées à la combustion du kérosène.
Si les émissions humaines de vapeur d’eau depuis la surface ne contribuent donc pas significativement à l’augmentation de l’effet de serre, la vapeur d’eau dans ces basses couches reste un moteur essentiel du changement climatique, via un mécanisme indirect : la vapeur d’eau n’est pas à l’origine du réchauffement, mais s’il y a réchauffement (par exemple à cause de l’augmentation de la concentration en CO2), elle contribue à l’empirer en empêchant la Terre de se refroidir (en retenant les émissions infrarouges).
La vapeur d’eau, un acteur majeur du réchauffement climatique
Comme dit plus haut, l’air peur contenir une certaine quantité d’eau sous forme vapeur sans qu’il y ait condensation. Cette quantité est très dépendante de la température : un air froid (de type polaire ou à haute altitude) contient très peu d’eau alors qu’un air chaud (comme rencontré dans les basses couches d’une atmosphère tropicale) peut contenir beaucoup d’eau. La relation entre la température et la quantité de vapeur d’eau qui peut être contenue dans l’air est très non linéaire (environ 7 % par degré supplémentaire).
Si la température augmente à cause d’émissions anthropiques de CO2, l’air peut contenir plus de vapeur d’eau. En pratique, c’est bien ce qui se produit et la vapeur d’eau additionnelle dans l’air va alors contribuer à l’effet de serre, renforçant le réchauffement initial.
Ainsi, la vapeur d’eau va contribuer à amplifier l’effet initial (hausse de la température), même si elle n’en est pas à l’origine. C’est ce que l’on appelle une « rétroaction positive ».
La rétroaction de la vapeur d’eau contribue à amplifier le réchauffement provoqué par l’augmentation de dioxyde de carbone. (FM Bréon, fourni par l'auteur)
Une « rétroaction » est un processus qui se met en place suite à une perturbation initiale et qui vient la renforcer (rétroaction positive) ou l’atténuer (rétroaction négative).
Dans le cadre du réchauffement climatique, un exemple de rétroaction négative forte est lié à l’émission de rayonnement infrarouge : lorsque la température augmente, l’atmosphère, l’océan et les surfaces émettent plus de rayonnement infrarouge vers l’espace, ce qui permet d’« évacuer » la chaleur depuis la Terre vers l’espace, et induit un refroidissement.
Du côté des « rétroactions positives », on a vu l’exemple de la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Cet effet, qui est bien compris et donc inclus dans les modélisations climatiques, multiplie le réchauffement initial par un facteur proche de 3. Il est donc essentiel pour comprendre l’ampleur du réchauffement climatique.
Un autre exemple est celui de la neige et banquise : avec le réchauffement, leurs surfaces tendent à diminuer. Puisque neige et banquise réfléchissent une large part du rayonnement solaire vers l’espace, leur disparition provoque une absorption supplémentaire de l’énergie solaire dans le sol, et donc un réchauffement additionnel.
Les nuages ont eux aussi le potentiel pour être le vecteur d’une rétroaction. Mais leur impact est complexe puisque, dans le même temps, ils réfléchissent une partie du rayonnement solaire vers l’espace (effet refroidissant) et ils contribuent à l’effet de serre (effet réchauffant). Par ailleurs, l’impact du réchauffement climatique sur la couverture et sur l’altitude des nuages n’est pas évident. Les modèles de climat indiquent que, au final, les nuages conduisent à une rétroaction positive, mais son ampleur reste incertaine puisqu’elle diffère suivant les modèles.
Contrairement aux « rétroactions », les « forçages » sont les actions humaines qui conduisent à un changement climatique. Les émissions de vapeur d’eau ne constituent pas un forçage significatif, mais la vapeur d’eau est bien le vecteur d’une rétroaction essentielle pour quantifier l’amplitude du réchauffement climatique.
Cet article est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image bannière : la centrale nucléaire de Cattenom près du lac du Mirgenbach (Source : Bassaar/Wikimedia)