Les mers montent, les côtes s’enfoncent : le double défi des villes côtières
La hausse du niveau des océans est relativement bien documentée et de nombreuses études s’y sont intéressées. En moyenne, celle-ci est de 2,5 mm par an. D’une part, il y a la fonte des grandes calottes glaciaires qui en sont responsables, mais il y a également l'expansion thermique de l’eau quand elle se réchauffe. Il faut aussi prendre en compte l’activité humaine sur les régions côtières qui amplifie ce phénomène. En effet, le pompage des nappes phréatiques et des nappes de pétrole côtières produit un affaissement du sol, augmentant de façon très marquée l’impact de la hausse du niveau de la mer.
Selon Denis Gilbert, chercheur en océanographie pour Pêches et Océans Canada, il y a une accélération de la hausse du niveau de la mer. En compilant toutes les données du XXe siècle, on constate que les océans ont monté, en moyenne de 1,6 mm par an, mais pour la période 1993-2015 seulement, cette hausse est plutôt de 2,5 mm/an. Selon le GIEC, depuis 2006, elle se situe maintenant à 3,6 mm/an.
En combinant la hausse annuelle du niveau de la mer et l’affaissement des sols côtiers, on peut évaluer que les résidents habitant sur le littoral enregistrent une hausse moyenne entre 7,8 et 9 mm par an. Pour certaines métropoles, comme La Nouvelle-Orléans et Jakarta, cette valeur pose un problème de taille et met en péril la survie de ces villes. C’est d'ailleurs pour cette raison que l’Indonésie a choisi de déplacer sa capitale, Jakarta, vers Kalimantan Est, en 2024.
La croûte terrestre se remet encore de la dernière grande glaciation. Par endroits, elle se soulève et ailleurs, elle s’enfonce. M. Gilbert souligne que ce redressement de la croûte terrestre annule, par endroits, la hausse du niveau des mers. C’est le cas à Rimouski où le soulèvement de la croûte est équivalent à la hausse des océans. Pour les îles de la Madeleine, la croûte s’enfonce d’un millimètre par an. Ajoutez la hausse du niveau de la mer et vous avez un résultat plus élevé.
Le Bouclier canadien où se trouvent les baies d’Hudson et James s’élève plus rapidement que le niveau des mers, car la croûte terrestre reprend sa forme à la suite de la disparition du glacier nord-américain qui exerçait une énorme pression sur elle il y a dix mille ans. Pour cette région, cette réalité n’est donc pas un enjeu.
L’endroit au Canada où la hausse du niveau des océans est la plus problématique est la région de la mer de Beaufort au nord du pays. Puisqu’il s’agit de pergélisol, le terrain est composé de particules reliées entre elles par de la glace. Le manque de glace hivernale permet aux vagues d’éroder la côte plus facilement et sur une plus longue période de temps. Puisque la température de l’eau est supérieure à zéro, elle fait fondre la glace qui retient le tout ensemble. L’érosion est d’autant plus accélérée.
Mais d’autres facteurs ont une part de responsabilité sur le mouvement de la croûte sur les côtes. Le pompage des nappes phréatiques, l’extraction de pétrole brut près des côtes, l’exploitation de gisement de sable et la construction de barrières contre les inondations font que sur les côtes, la croûte, dont le sous-sol a été vidé ou non compacté, s’affaisse de plus en plus rapidement.
Selon une étude publiée dans la revue Nature Climate, certaines portions des villes de Jakarta, La Nouvelle-Orléans, Shanghai et Bangkok se sont enfoncées de deux à trois mètres au cours du XXe siècle seulement. Il faut aussi tenir compte de la population mondiale qui ne cesse de croître. En 2015, on estimait que le nombre de personnes résidant dans une zone du littoral à risque d’inondations se situait à environ 249 millions d’individus. On estime qu’ils seront 280 millions d’ici 2050. Le GIEC, dans son dernier rapport, souligne que les épisodes de niveau d’eau extrême qui se produisaient en moyenne une fois par siècle seront devenus annuels à compter de 2050.
Un expert en la matière de l’université de Miami, Harold Wanless, souligne qu’au cours des trente prochaines années, plusieurs villes aux prises avec ce problème seront forcées d’abandonner certaines portions de leurs territoires, devenues invivables. C’est avec leurs conclusions en tête que les auteurs de l’étude soulignent que des mesures d’adaptation pour ralentir l'affaissement du sol doivent être prises et mises en place rapidement. Ils citent en exemple la ville de Shanghai qui a reconnu ce problème dans les années 1920 et qui a pris des mesures extraordinaires pour limiter le pompage souterrain de la nappe phréatique et instaurer une meilleure gestion de l’eau. Tokyo a fait de même après que la ville se soit affaissée de près de quatre mètres seulement au cours du XXe siècle. La Nouvelle-Orléans a, quant à elle, mis en place un programme de plusieurs milliards de dollars pour raviver les zones marécageuses qui servent de tampon contre les inondations causées par la hausse du niveau de la mer.