Des montagnes de sucre découvertes sous des herbiers marins
Les dépôts de sucre trouvés dans ces prairies sous-marines figurent parmi les plus « grands amonts de sucre sur Terre », selon des chercheurs.
Des chercheurs affiliés à l'Institut Max Planck de microbiologie marine dévoilent l’existence d’importantes quantités de sucre enfouies dans des herbiers marins, un peu partout à travers le monde. Ces écosystèmes figurent parmi les meilleurs capteurs de carbone naturels. Un herbier marin d’un kilomètre carré peut stocker près de deux fois plus de carbone qu’une forêt à la surface – et près de 35 fois plus rapidement, selon l’Institut Max Planck.
Afin de mieux comprendre ces superhéros de capteurs de carbone, les scientifiques ont fait des recherches près des côtes de l’île italienne d’Elbe, en pleine mer Méditerranée. Ils ont prélevé des échantillons de végétaux et de sédiments environnants. Leurs résultats sont surprenants : les concentrations de sucre de la prairie sous-marine étudiée sont près de 80 fois supérieures à d’autres écosystèmes marins.
« Afin de mettre tout ça en perspective, nous estimons que cela représente entre 0,6 et 1,3 million de tonnes de sucre, retrouvé surtout sous forme de sucrose », explique un scientifique de l’institut, Manuel Liebeke, dans un communiqué de presse. « Cela correspond environ à la quantité de sucre présente dans 32 milliards de canettes de Coke ! »
Herbier sous la mer Méditerranée Crédit photo : HYDRA Marine Sciences GmbH/ Max Planck Institute for Marine Microbiology
Mieux comprendre les écosystèmes sous-marins
Les herbiers marins consomment d’importantes quantités de dioxyde de carbone en raison de leur relation symbiotique avec les bactéries. Dans ce genre de partenariat, chaque espèce y trouve son compte.
La lumière du soleil permet à la plante de capturer le dioxyde de carbone présent dans l’eau et de le transformer en molécules de sucre. Ces dernières sont composées d’oxygène, de carbone et d’hydrogène. Pendant les périodes les plus ensoleillées, comme le début de l’après-midi ou durant les mois d’été, les végétaux produisent plus de sucre que nécessaire. Ils entreposent donc l’excès de sucrose près de leurs racines, dans le sol océanique.
Les bactéries vivant près des racines se nourrissent de ce sucre, et produisent ensuite davantage de nutriments, comme l’azote, qui viennent ensuite fertiliser l’herbier marin. Cette symbiose a été documentée pour la première fois par l’équipe, et leur étude a été publiée dans la revue Nature Ecology & Evolution en mai 2022.
Les impressionnantes piles de sucre n’ont pas été entièrement consommées par les bactéries en raison de composés phénoliques émis par l’herbier, qu’ils ne peuvent pas digérer. C’est une découverte clé pour les chercheurs, puisque cela confirme que le carbone présent dans les molécules de sucre reste enfoui dans le sol sous-marin, et n’est pas libéré dans l’atmosphère. La recherche évoque la possibilité que, si tout ce sucrose est absorbé par les microorganismes, près de 1,54 million de tonnes de dioxyde de carbone puissent être évacuées à la surface. Cela représente les émissions de 330 000 voitures pour une seule année.
Chercheur du Max Planck Institute for Marine Microbiology qui collecte des échantillons de sucrose sous un herbier (HYDRA Marine Sciences GmbH/ Max Planck Institute for Marine Microbiology)
Les herbiers marins sont responsables de près de 10 % du stockage de carbone au sein des océans – et ce, même s’ils ne couvrent qu’un maigre 0,2 % des sols océaniques. Les chercheurs s’inquiètent : malgré le rôle central que joue ces écosystèmes particuliers dans le cycle global du carbone, ils connaissent un déclin rapide. Le stress imposé par les changements climatiques et les développements côtiers sont des facteurs prédominants dans leur dégradation.
Jusqu’à 33 % des herbiers marins pourraient déjà avoir disparu, ce que l’Institut estime « comparable à la perte de forêts tropicales et de récifs de corail. »
« Notre étude contribue à notre compréhension d’un des écosystèmes côtiers les plus critiques de notre planète et souligne à quel point il est primordial de les protéger », affirme l’auteure principale de la recherche, Maggie Sogin, dans le communiqué de presse.
Adaptation d'un article de Bella O'Malley de TWN. L'image d'en-tête dun herbier (Posidonia oceanica) dans le sud de la France (Arnaud Abadie/ E+/ Getty Images)