La «camionisation» des véhicules électriques, une lourde tendance
La tendance des véhicules toujours plus gros se poursuit au Québec, même avec la ruée vers l’électrification des transports. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ? Est-ce un reflet exact des préférences des consommateurs ? On s’interroge avec des experts.
On apprenait, il y a quelques mois, que certains constructeurs de véhicules électriques allaient stopper la production de véhicules compacts au profit de VUS électriques. Selon eux, la demande serait plus grande pour de gros véhicules. Mais est-ce qu’un VUS électrique est aussi vert qu’une compacte électrique ?
Selon Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales chez Équiterre, il est faux de penser que l’impact sur l'environnement de ces deux types de véhicule est équivalent. Il est facile de comprendre que plus un véhicule est gros, plus les besoins en matière première et en énergie seront élevés pour sa construction.
«Il y a une tendance à la camionisation qui a été développée par les constructeurs automobiles. Cette tendance continue avec les véhicules électriques, s’accélère même», remarque M. Viau.
C’est le cas de la Bolt EV de Chevrolet, qui ne sera bientôt plus offerte. Ce modèle sera remplacé par la Bolt EUV, une version VUS de l’originale. Le groupe motopropulseur de la version EV est le même que l’on retrouve dans le nouveau modèle. Puisque celui-ci est plus gros et plus lourd, l’autonomie est d’autant réduite. Le plus étonnant c’est que la Bolt EV est le deuxième véhicule électrique le plus vendu au Québec, derrière la Tesla, rappelle M Viau.
Alors, pourquoi stopper sa production, surtout quand la demande est au rendez-vous?
En entrevue à MétéoMédia, M. Ian Sam Yue Chi, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ), a souligné que c’est GM qui reprendra la production de la Bolt. Selon lui, c’est une excellente nouvelle pour le consommateur, car il y a un engouement : 6800 de ces véhicules ont été vendus au Canada l’an dernier.
Pour plusieurs, le choix d’un VUS plutôt qu’une voiture compacte est directement lié au sentiment de sécurité qu'ils offrent. On nous fait miroiter la sécurité, mais c’est surtout la sécurité des gens à l’intérieur du véhicule, car pour les autres, ce type de véhicule est moins sécuritaire. Selon les données d’Équiterre, les VUS sont deux fois plus souvent impliqués dans des collisions avec des piétons. Puisqu’ils sont plus hauts, le point d’impact avec un piéton est souvent plus meurtrier, car les organes situés dans le torse sont plus à risques. De plus, les collisions provoquées par un VUS sont 28 % plus mortelles pour les autres conducteurs.
« L’augmentation du nombre de VUS sur nos routes a aussi un impact sur la congestion routière », rappelle M. Viau. « Cinq VUS prennent plus de place sur la route que cinq Nissan Micra. » Les villes partout au Québec sont obligées de gérer les conséquences de l’utilisation accrue de ces véhicules. À tel point que la ville de Saguenay a dû restreindre le stationnement de gros véhicules dans certaines rues de l’arrondissement Chicoutimi parce qu’ils prennent trop de place et bloquent le passage.
M. Viau croit que la réglementation n’est pas assez sévère pour que les constructeurs soient dans l’obligation d’offrir un plus grand choix de véhicules électriques. Il pense que le gouvernement fédéral devrait aussi légiférer sur l’immatriculation des véhicules, comme on le fait au Québec sur les camions lourds. Cet incitatif pourrait en décourager plusieurs de faire l'acquisition d’un gros véhicule au profit d’une autre de taille plus modeste.
M. Sam Yue Chi de la CCAQ ne le voit pas de la même manière, et trouve que les normes québécoises sont assez élevées. Il souligne même que la nouvelle norme qui sera bientôt en vigueur forcera les constructeurs automobiles à augmenter le nombre de véhicules électriques ou hybrides branchables livrés chaque année. Ce ratio passera à 22 % de tous les véhicules vendus dans la province. Si cet objectif n’est pas atteint, les constructeurs devront payer d'importantes redevances à l’État.
Certains d'entre eux pensent déjà à réduire leur production pour atteindre cet objectif. En effet, si on réduit le nombre de véhicules vendus, il est plus facile de rejoindre la norme de 22 %. Par exemple, un manufacturier qui vend 10 000 véhicules par an sera forcé d’en vendre 2200 qui seront électriques. S’il réduit sa production de moitié, il n’aura qu'à fournir 1100 véhicules électriques.
Le directeur d’Équiterre rappelle qu'au Québec, nous sommes des leaders dans l’électrification des véhicules, puisque nous sommes les premiers au pays à s’être doté d’une législature pour les véhicules zéro émission. Grâce à notre électricité qui est complètement décarbonée, il est possible d’offrir en toute conscience l’électrification des transports.
Mais si on veut que cette électrification ait tout son sens, il faut aussi mettre les efforts nécessaires dans les milieux périurbains et ruraux. Le manque de bornes à l’extérieur des grands centres urbains n’incite pas les résidents de ces régions à passer à l’électrique. On doit aussi offrir la possibilité de se convertir à l’électrique aux gens à faibles revenus, ajoute M. Viau. Il fait aussi remarquer que la Norvège, un pays producteur de pétrole, est déjà 100 % électrique. Il nous reste donc du chemin à faire.
Selon monsieur Sam Yue Chi, on a fait de la voiture hybride branchable un véhicule de transition. Il croit cependant que ce type de véhicule reste un excellent choix pour certaines familles, particulièrement celles pour qui la voiture 100 % électrique n’est pas une option. Même si la technologie n’est pas encore existante, le directeur de la CCAQ pense que le meilleur des deux mondes serait un véhicule à l’hydrogène branchable, car la production d’électricité au Québec est verte et renouvelable.
Image bannière : Une Ford F-150 Lightning 2022 vue au New York International Auto Show à Manhattan, New York (Kevauto/Wikimedia)