Le changement climatique rend les arbres plus grands, mais plus faibles
Des températures plus chaudes pourraient allonger la saison de croissance des arbres et, conséquemment, augmenter leur taux de croissance. Mais cela pourrait aussi affaiblir le bois. Un article de Roberto Silvestro, candidat au doctorat en biologie et Sergio Rossi, professeur au Département des Sciences Fondamentales à l'UQAC.
Alors que les températures de la planète augmentent, les arbres des zones froides peuvent profiter d’une saison de croissance prolongée. Une période de croissance plus longue se traduit par des cernes de croissance plus épais et, par le fait même, par une accumulation de bois plus élevée.
Cependant, des études suggèrent que des saisons de croissance plus longues affaiblissent le bois, ce qui rend les arbres plus faibles au niveau structurel. Le tronc se casserait donc plus facilement à cause du bois de moins bonne qualité.
En tant qu’écologistes forestiers spécialisés dans l’anatomie et la croissance du bois, les auteurs citent dans cet article les études scientifiques les plus récentes dans l’optique de tenter de dessiner l’avenir de nos forêts et d’analyser les relations entre le calendrier des saisons de croissance et la manière dont elles définissent les caractéristiques du bois produit.
Le bois : qu’est-ce que c’est ?
Le bois est le résultat de l’accumulation progressive de cellules – cellules du xylème – dans les arbres. Cette accumulation a pour but de renouveler le système de transport de la sève et d’assurer un support mécanique à la tige, aux branches et aux feuilles.
Un cerne est le produit d’une saison de croissance qui, dans les milieux tempérés et boréaux, s’étale entre le printemps et l’automne. Chaque année, un nouveau cerne de croissance se forme. L’épaisseur d’un cerne dépend d’un ensemble de facteurs inhérents à l’arbre (espèce, génétique) et de facteurs environnementaux (le type de sol, l’exposition au soleil, le climat et la compétition entre arbres avoisinants).
Chez certaines espèces, notamment chez les conifères, il est souvent facile de distinguer les cernes les uns des autres. Cela s’explique par le fait que, lors de la saison de croissance, l’arbre produit deux types de bois caractérisés par des cellules de forme et fonction différentes.
Au printemps, l’arbre produit de nombreuses cellules de grande taille et de couleur pâle en raison d’une paroi cellulaire mince. Cette partie du cerne annuel est appelée « bois initial ». À la fin de l’été, la croissance ralentit. Les cellules deviennent plus petites, mais leurs parois plus épaisses. Ce « bois final » constitue la portion foncée du cerne annuel.
L’épaisseur d’un cerne dépend d’un ensemble de facteurs inhérents à l’arbre (espèce, génétique) et de facteurs environnementaux (le type de sol, l’exposition au soleil, le climat et la compétition entre arbres avoisinants). (Arnoldius/Wikimedia)
Les caractéristiques des cellules du bois sont particulièrement importantes et présentent un intérêt écologique et économique. Tout d’abord, les parois des cellules du bois reçoivent la plupart du carbone séquestré de l’atmosphère par les arbres. Ainsi, une paroi plus épaisse correspond à une plus grande quantité de carbone accumulé. Ensuite, le rapport entre le nombre de cellules du bois initial et celui du bois final est une caractéristique qui définit la densité du bois et, par conséquent, son utilisation potentielle et sa valeur matérielle.
Les arbres poussent plus vite
Au cours du dernier siècle, dans les régions tempérées d’Amérique du Nord et d’Europe, les arbres ont montré un taux de croissance plus rapide, jusqu’à 77 % supérieur à celui du siècle précèdent. Cette augmentation est liée à la production de cernes de croissance plus épais.
À première vue, une croissance plus rapide pourrait être interprétée comme une plus grande production de biomasse, ce qui entraînerait une plus grande capacité de stockage de carbone et, par conséquent, une plus grande contribution de nos forêts à la lutte contre les changements climatiques. En d’autres termes, un taux de croissance plus élevé pourrait indiquer que davantage de bois serait disponible pour nos besoins les plus variés.
Mais comme écrivait William Shakespeare, « souvent, l’attente échoue là même où elle promet le plus ».
Les arbres meurent plus jeunes
Une étude de l’Université technique de Munich en Allemagne a analysé le taux de croissance des arbres et les caractéristiques de leur bois au cours du dernier siècle. Ils ont constaté que, lors d’une augmentation du taux de croissance, la densité du bois chutait de 8 à 12 %.
De plus, à mesure que la densité de bois diminuait, la teneur en carbone diminuait également d’environ 50 %. Cela suggérait que les arbres ont extrait moins de dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère.
Au-delà d’une capacité réduite à absorber et à accumuler le carbone atmosphérique, un bois à densité réduite peut affaiblir la résistance structurelle des tiges. Le bois remplit la fonction importante de support des arbres. La réduction de sa densité s’accompagne donc d’une moindre résistance aux sollicitations mécaniques comme, par exemple, l’action du vent ou l’effet de la gravité dans les pentes escarpées.
Pour compliquer davantage les choses, une autre étude récente a démontré l’existence d’une association entre croissance et durée de vie dans les arbres : les individus à croissance rapide ont une espérance de vie plus courte.
Trop, c’est comme pas assez
Dans notre dernière étude, nous avons quantifié les relations entre la durée de la saison de croissance, la productivité et les caractéristiques des cellules du bois du sapin baumier.
L’étude a confirmé que les arbres ayant une saison de croissance plus longue produisent davantage de cellules de bois et un cerne de croissance plus épais. Cependant, une croissance plus élevée correspond également à une modification du rapport entre la quantité de bois initial et final. Pour chaque jour d’augmentation de la durée de la saison de croissance, les arbres produisaient une cellule supplémentaire de bois initial.
L’augmentation du ratio entre bois initial et bois final se traduit par la diminution de la densité du bois. Cela démontre qu’une augmentation de la croissance en volume ne correspond pas nécessairement à une plus grande production de biomasse.
Quel avenir pour nos forêts ?
La température globale moyenne a dépassé d’environ 1,15 °C la moyenne préindustrielle (1850-1900). Et elle devrait encore augmenter dans les années à venir. Des températures plus chaudes pourraient allonger la saison de croissance des arbres et, conséquemment, augmenter leur taux de croissance.
Alors que, d’une part, nous pourrions assister à l’expansion de nos forêts au niveau mondial, le taux d’absorption de carbone des forêts pourrait être susceptible de diminuer.
Même si nos forêts apporteront une contribution substantielle à la lutte contre le changement climatique, les résultats de ces études sont une preuve supplémentaire que la résolution des problèmes environnementaux ne peut se passer d’une action directe sur les causes qui déclenchent les changements globaux.
Dans le contexte du changement climatique, une réduction des émissions anthropiques qui causent le réchauffement de notre planète n’est plus une option à négocier ou à reporter.
Cet article de Roberto Silvestro, candidat au doctorat en biologie et Sergio Rossi, professeur au Département des Sciences Fondamentales à l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image bannière : Le soleil à travers la forêt boréale (Denis St-Pierre/Wikimedia)