Des trous géants se forment dans le fond de l’eau dans le nord du Canada
D’énormes trous à la suite d’une décongélation du pergélisol ont déjà été documentés sur la terre ferme, mais les scientifiques affirment avoir observé pour la première fois des gouffres semblables au fond de l’océan.
Faits saillants :
Des gouffres énormes de près de 30 mètres de profondeur ont été observés au fond de la mer de Beaufort, dans le nord du Canada ;
Il s’agit d’une première dans le monde scientifique ;
Cette tendance aurait débuté avant les changements climatiques induits par l’humain, mais s’accélère.
Déployer des robots autonomes dans le fond de l’océan réserve toujours son lot de surprises. Pour un groupe de scientifiques réalisant des recherches au Canada, ces imprévus ont pris la forme de dépressions immenses dans le sol, de la taille d’un pâté de maisons entier de six étages. Il s’agit d’une découverte alarmante, qui pourrait avoir des impacts sérieux sur le climat mondial.
L’équipe internationale de chercheurs affiliée au Monterey Bay Aquarium Research Institute (MBARI) collecte des données dans la mer de Beaufort, au nord du Canada, depuis 2003 afin d’en apprendre davantage sur cette région isolée. Les gouffres mis au jour par les scientifiques se situent dans une zone où le pergélisol tend à se dégeler.
Le pergélisol se définit comme n’importe quel type de sol gelé depuis au moins deux années consécutives. Son dégel a été documenté un peu partout en Arctique au cours des dernières années, mais l’étude suggère que le sol de l’océan peut aussi suivre cette tendance - une première.
Carte de la surface du plancher océanique Crédit : Eve Lundsten © 2022 MBARI
Des données collectées entre 2010 et 2019 ont révélé que des changements extrêmement rapides s’opèrent sur le plancher océanique d’une zone de pergélisol, qui se serait formée il y a entre 2 580 000 et 11 700 ans. Le plus gros gouffre possède une forme ovale et ses dimensions tournent autour de 225 mètres de long, 95 mètres de large et 28 mètres de profondeur.
Le moteur derrière la formation de ces gouffres sur le sol de la mer de Beaufort serait le réchauffement graduel des sédiments du pergélisol depuis la dernière ère glaciaire, en raison de l’eau souterraine saumâtre qui circule à travers des régions de pergélisol ancien. Cela a un effet de redoux sur la glace et cause éventuellement un effondrement.
Les chercheurs notent que cette tendance aurait débuté bien avant que l’humain ne réchauffe la planète avec des gaz à effet de serre. Cependant, la chaleur grandissante affectant l’Arctique en raison de ce phénomène représente un obstacle à la compréhension du fonctionnement exact de cet environnement glacial sans l’influence des activités humaines.
« Ces changements rapides du plancher océanique requièrent notre attention. Nous devons comprendre comment le déclin du pergélisol sous-marin influencera les vastes zones sous-jacentes aux plateaux continentaux de l'Arctique. Cette recherche révolutionnaire a permis de savoir comment le dégel du pergélisol marin peut être détecté et suivi, une fois que les informations de base sont établies », estime le géologue au MBARI et coauteur de l’étude Charlie Paull dans un communiqué de presse.
La sonde sous-marine du projet MBARI Crédit photo : Charlie Paull © 2016 MBARI
La formation de cratères sur la terre ferme a également donné de précieux indices aux scientifiques au sujet de la nature changeante du pergélisol dans un monde qui se réchauffe. Un nombre important de gouffres immenses, dont certains mesurent près de 20 mètres de longueur, sont apparus en Sibérie et sont intimement liés à des éruptions de méthane - emmagasiné depuis des années sous la surface de la Terre.
Le méthane est un gaz à effet de serre près de 84 fois plus puissant (et plus efficace) que le dioxyde de carbone pour réchauffer la Terre sur une période de 20 ans. En plus des impacts physiques que peut avoir le dégel du pergélisol sur les communautés nordiques, notamment en ce qui a trait aux maisons et aux infrastructures routières, les chercheurs s’inquiètent aussi de la libération à grande échelle du méthane au fur et à mesure que les écosystèmes se réchauffent.
Le dégel du pergélisol terrestre en Arctique a été lié à une augmentation mondiale des températures, ce qui a soulevé de nombreuses questions sur les impacts possibles qu’un réchauffement induit par l’humain pourrait avoir sur le pergélisol dans le fond des océans. Les scientifiques affirment qu’il reste encore beaucoup de choses à apprendre au sujet des effets potentiels d’une décongélation du plancher océanique et de son influence sur le paysage sous-marin. Malgré tout, ils estiment que leur travail permettra de poser les bases d’une surveillance et d’analyses plus poussées et ainsi, de mettre la table pour de nouvelles recherches.
« Le gouvernement du Canada et le peuple Inuvialuit, qui vit sur la côte de la mer de Beaufort, accordent beaucoup d’importance à cette recherche puisque les processus complexes qui y sont décrits ont une influence directe sur l’évaluation des risques géologiques, la création d’un habitat marin unique et notre compréhension des processus biogéochimiques », affirme l’un des auteurs principaux de l’étude Scott Dallimore (qui oeuvre également à la Commission géologique du Canada).
Adapté d'un reportage de TWN par Isabella O'Malley