Votre pare-brise trop propre est un signe du déclin des insectes
Avez-vous remarqué que vous n’avez pas à nettoyer votre pare-brise aussi souvent qu’avant? Les entomologistes jugent que c’est un signe inquiétant du déclin global des insectes.
Faits saillants
L’effet pare-brise est un phénomène connu des experts, une illustration frappante du déclin des populations d’insectes.
Selon les régions, on note une diminution de 40 à 75 % des populations et de la diversité des espèces d’insectes autour du monde.
Les causes sont multiples : pesticides, perte d’habitats, mondialisation et changements climatiques.
La perte des insectes a des conséquences désastreuses sur la chaîne alimentaire, les écosystèmes et, ultimement, sur notre portefeuille.
Mais les populations peuvent s’en remettre, si on s’en porte allié et si on leur crée des habitats appropriés.
Au début de l’été, notre collègue Kyle Brittain a partagé des images de sa voiture après un voyage, complètement recouverte de carcasses d’éphémères. Ces insectes – qu’on appelle aussi mannes au Québec – émergent par milliards au bord des cours d’eau en période de reproduction au début de l’été (d'où le nom anglais mayflies). Les pêcheurs le savent : les éphémères sont une proie de choix pour les poissons et ont inspiré plusieurs mouches à pêche.
L’auto de Kyle témoigne d’un paradoxe. Si l’image nous frappe, c’est à cause du déclin global des insectes. Les plus vieux se rappelleront que le nettoyage des vitres dégoûtantes lors de chaque plein d’essence était quasiment un rite de passage lors des virées en voiture de notre enfance. Par contre, depuis les 30 dernières années, on a de moins en moins souvent besoin du squeegee. C’est une expérience si courante que les experts le nomment le syndrome du pare-brise.
Maxim Larrivée, le directeur de l’Insectarium de Montréal, l’explique ainsi : « On sait qu’il y a 40% moins d’insectes qu’il y a 30 ans. Ça se reflète dans le pare-brise de tous les automobilistes québécois. On remarque qu’il est beaucoup plus propre après un voyage qu’il y a 30 ans, parce qu’on a frappé beaucoup moins d’insectes. »
C’est une illustration toute bête, mais qui nous aide à remarquer l’amplitude du déclin des populations et de la diversité des insectes. Mais c’est aussi une anecdote qui ne vous rejoint peut-être pas, surtout si, comme Kyle, vous avez été témoin d’une émergence d’éphémères ou si les maringouins vous pourchassent en vacances. Mais le phénomène est bien documenté par un grand nombre d’études à travers le monde.
Au Royaume-Uni, Kent Wildlife Trust et Buglife testent l’hypothèse directement. En 2021, une expérience a été lancée avec l’aide de scientifiques amateurs, qui ont fixé des grilles de papier sur leur plaque d’immatriculation afin de compter le nombre d’insectes abattus sur leur parcours. Leur méthodologie est la même qu’une autre expérience en 2004, leur permettant de comparer les résultats. La conclusion : une diminution de 71,5 % du nombre d’insectes frappés par les voitures à Kent entre 2004 et 2021. Convaincus, les chercheurs répètent l’expérience cette année.
La grille fixée sur la plaque d'immatriculation permet de compter les insectes happés sur la route. Source: Kent Wildlife Trust
D’autres études ont démontré un phénomène semblable dans d’autres régions. En Europe, l’équipe du Krefeld Entomological Society a enregistré un déclin de 75 % dans des aires protégées en 2017, des résultats inquiétants que certains médias ont même surnommés l’Armageddon des insectes. Certaines espèces s’éteignent plus rapidement que d’autres, surtout celles qui ont des cycles de vie plus complexes ou qui dépendent des prairies sauvages, souvent remplacées de nos jours par des champs de blé ou de maïs.
Ceux qui souffrent d’arachnophobie ou des piqûres des maringouins pourraient se réjouir d’avoir moins de bibittes dans leur vie. Cependant, le déclin des insectes entraîne une onde de choc sur toutes les autres espèces. Dans une étude devenue célèbre, Chris Grooms de l’université Queen's et son équipe ont fouillé dans des couches d’excréments déposées pendant 48 ans par des martinets ramoneurs, un oiseau plutôt commun qui se nourrit exclusivement d’insectes volants. Tout en bas de la pile, ils ont vu que les oiseaux se nourrissaient auparavant d’insectes plus complexes comme les scarabées. En avançant dans le temps, ils ont trouvé de plus en plus de molécules associées au DDT et des insectes de moins en moins riches en calories. Ce changement de régime alimentaire a eu un impact négatif sur la population de martinets. Le déclin parallèle des insectes volants et des oiseaux insectivores a été amplement confirmé depuis.
Des restes d'insectes sous le microscope révèlent les changements à la diète des martinets. Source: Chris Grooms, université Queen's
Les conséquences négatives réverbèrent jusqu’à nous. Comme le dit M. Larrivée, « Directement, beaucoup moins d’argent dans vos poches. » Les insectes jouent un rôle important de pollinisation. Sans eux, les fruits et légumes seront plus rares et coûteront plus cher. Mais les insectes jouent d’autres rôles complexes dans les écosystèmes, pour filtrer les cours d’eau, combattre les espèces nuisibles, nettoyer les matières en décomposition, aérer les sols…
Une espèce qui disparaît peut ouvrir la voie à d’autres, plus nuisibles. Le dendroctone du pin, par exemple, a été porté coupable des incendies qui ont ravagé les forêts de l’ouest des États-Unis et du Canada en 2020. Les causes des feux de forêt sont évidemment multiples, mais les insectes attirés par les arbres en période de sécheresse ont laissé derrière eux une forêt d’allumettes.
Tronc d'un arbre ravagé par le dendroctone du pin au Montana. Source: Getty Images
Le déclin des insectes n’est pas causé par un seul facteur, c’est bien une mort par plusieurs blessures. M. Larrivée a nommé entre autres la destruction des habitats et leur conversion en terres agricoles, l’usage de pesticides, et la mondialisation qui introduit de nouvelles espèces étrangères. Les changements climatiques ne font qu’amplifier ces pressions. Chaque événement de météo extrême a le potentiel de rayer une espèce entière de la carte.
L’entomologiste E. O. Wilson surnommait les invertébrés « ces petites bestioles qui mènent le monde ». Prévenir leur perte devrait être une priorité pour tous ceux qui partagent leur monde. Heureusement, ils ont des cycles de reproduction rapides et les populations peuvent rebondir, si on leur en donne la chance.
La clé est de limiter l’usage des pesticides au minimum et de créer des habitats propices pour que les insectes puissent se nourrir, se reproduire et hiberner. On peut par exemple planter un jardin (ou même une boîte à fleurs) avec des espèces indigènes préférées par les pollinisateurs, ou simplement laisser pousser les pissenlits. Un geste tout simple est de laisser les feuilles mortes sur le terrain en automne pour les insectes qui passent l’hiver sous leur couvert.
Un joli jardin plein de vie et d'espèces indigènes dont raffolent les pollinisateurs. Source: Valérie Bourdeau
Vous pouvez aussi contribuer à des initiatives scientifiques pour documenter les populations d’insectes, par exemple Mission Monarque ou eButterfly. Mais le plus important, c’est de partager votre amour des insectes et de la biodiversité avec vos proches, vos amis, et vos élus.