Rencontre avec les chercheurs du « glacier de l’apocalypse »
Les scientifiques nous disent ce qu’ils pensent du surnom alarmiste qu’on donne à leur sujet de recherche. D'après un reportage de Rachel Maclean à The Weather Network.
Peut-être avez-vous aperçu certains gros titres plutôt déconcertants à propos du « glacier de l’apocalypse » en Antarctique, menacé d’effondrement avec l’accélération du réchauffement climatique.
Thwaites, de son nom officiel, est en effet le glacier le plus gros sur Terre, avec une dimension à peu près équivalente à la taille de la Floride.
On craint fortement que la plate-forme de glace (la partie flottante du glacier qui soude ce mastodonte) s’effondre d’ici cinq ans. Tel scénario causerait de gros problèmes pour les autres glaciers qui fondent rapidement en périphérie, contribuant à l’élévation du niveau de la mer. D’où son surnom digne d’un film catastrophe.
Les craintes associées à l’évolution de ce glacier expliquent en partie pourquoi un financement de 50 millions de dollars a été accordé par le Natural Environment Research Council du Royaume-Uni et la National Science Foundation aux États-Unis. L’objectif de l’International Thwaites Glacier Collaboration (ITGC) est de réunir des centaines de scientifiques afin d’étudier.
La recherche sur la cryosphère - le monde des glaces, banquises et pergélisol - est une priorité internationale, comme l’a récemment déclaré l’Organisation météorologique mondiale.
Les chercheurs des projets MELT et Icefin sur le glacier Thwaites en 2020 (Source : ITGC)
Peter Davis, un océanographe de la British Antarctic Survey, est un des chercheurs du projet qui cherche à éviter le terme « apocalypse ».
« Je ne suis vraiment pas chaud à utiliser ce terme, parce qu’il donne l’impression qu’il est trop tard pour faire quoi que ce soit. Et ce n’est pas nécessairement le cas », a-t-il déclaré.
Selon Peter Davis, on peut toujours renverser la situation, par exemple en s'efforçant pour rendre notre société carboneutre. « Je veux éviter le concept du destin, parce que le destin nous dicte qu’il est trop tard, alors à quoi bon changer de voie. »
Peter Washam est un associé de recherche à l’Université Cornell qui contribue à compiler les données recueillies sur Thwaites récemment dans le cadre du projet MELT. Quand il s’agit des surnoms du glacier, il voit les deux côtés de la médaille.
« Ce qui me décourage, c’est qu’on ne veut pas faire peur aux gens, n’est-ce pas ? Mais d’un autre côté, c’est un problème important qui mérite notre attention », exprime-t-il.
Selon lui, le monde peut « s’autocorriger », ce qui est une bonne chose. Malheureusement, ces corrections se font sur une échelle de temps beaucoup plus longue que celle des civilisations humaines. Ainsi, bien que la planète pourra se rétablir à long terme, la fonte des glaciers de l’Antarctique aura assurément un impact à plus court terme sur la population mondiale.
« La collecte de données et les changements que nous espérons apporter prendront du temps à avoir un effet. Par conséquent, il est temps que les gouvernements et municipalités commencent à se préparer à l’élévation du niveau de la mer et à faire les changements qui s’imposent en sachant que le résultat ne se produira pas du jour au lendemain », a-t-il déclaré.
Quand on lui demande si le glacier cesserait de fondre, Washam répond que non.
« Le processus est déjà entamé. Donc, tous les changements que nous apportons maintenant n’auront pas d’impact avant des décennies, voire même jusqu’à des centaines ou des milliers d’années », a-t-il déclaré. « En attendant, on doit vivre avec les conséquences de notre mode de vie depuis l’ère industrielle… Les quantités massives de carbone qu’on a pompées reviennent nous hanter. »
Selon Peter Washam, la collecte d’observations sur la fonte des glaciers au pôle Sud est vitale pour concevoir de futurs modèles climatiques basés sur une vision plus juste de la réalité.
« Sinon, le modèle sera toujours faux », a-t-il déclaré.
C’est pourquoi les chercheurs du projet MELT ont déployé un petit robot appelé Icefin. Conçu par Britney Schmidt, qui travaille également à l’Université Cornell, ce robot s’infiltre sous le glacier Thwaites afin de donner un aperçu direct de ce qui se passe sous la glace.
Le robot Icefin, qui a réalisé cinq missions en cinq jours sous le glacier Thwaites (Source : ITCG)
Ce que les scientifiques ont constaté, c’est que le rythme de la fonte sous une grande partie de la plate-forme de glace est plus lent qu’on ne le croyait. En revanche, les fissures profondes et les formations en « escalier » dans la glace fondent beaucoup plus rapidement. Chaque année, le glacier relâche des milliards de tonnes de glace dans l’océan, contribuant à environ 4 % de l’élévation annuelle du niveau de la mer.
Mais Washam et Davis s’empressent de souligner qu’il ne s’agit pas seulement de Thwaites. Il y a d’autres glaciers dans la calotte de l’Antarctique qui doivent également être surveillés de près, car ils perdent aussi de la glace.
Des fissures dans la glace permettent à l'eau plus chaude de s'infiltrer et d'accélérer la fonte (Source : ITGC)
« C’est un peu comme ajouter des glaçons au verre d’eau », a déclaré Washam, ajoutant qu’il y a un glacier juste à côté de Thwaites appelé Pine Island qui évolue aussi très rapidement.
L’objectif à l’avenir est de continuer à recueillir plus d’informations pour informer les dirigeants quant aux conséquences de la montée des eaux, mais les gouvernements doivent encore écouter et passer à l’action.
Alors, à quel point devrions-nous s’inquiéter de l’avenir des glaciers ?
« Lorsque nous parlons d’effondrement au cours des cinq prochaines années, nous parlons déjà de l’effondrement de la plate-forme de glace. Il s’agit de la partie de Thwaites qui flotte sur l’océan. Nous ne parlons certainement pas de l’effondrement du glacier, qui prendra plusieurs centaines ou milliers d’années », a déclaré Davis.
« Ceci dit, c’est une question ouverte sur le plan de la science, à savoir si nous avons dépassé ou non un point de bascule oü, même si nous réduisons les émissions de carbone, nous n’allons pas nécessairement changer la trajectoire de la fonte de glace. »
Davis reconnaît que la perte des glaces est peut-être déjà irréversible.
D'après un reportage de Rachel Maclean, journaliste dans la section climat à The Weather Network. Lire l'article original.
Image bannière : Peter Davis sur le terrain du glacier Thwaites (Source : Peter Davis)