Construire en milieu urbain menace la survie des arbres. Comment faire mieux ?
Plusieurs grandes villes se sont dotées d’objectifs ambitieux d’augmentation de canopée. La Ville de Montréal a adopté un plan d’action 2012-2021 et s’est fixée l’objectif de planter 300 000 arbres d’ici 2021 dans le cadre de ce plan.
Crédit: shutterstock
Jean-Claude Ruel, Université Laval
Les arbres en ville sont importants. Ils purifient et rafraîchissent l’air, ils aident à contenir les eaux de ruissellement et procurent d’immenses bienfaits pour la santé. Or le développement effréné menace la survie de La forêt urbaine et de toute la gamme de services écosystémiques qu'elle nous rend.
L’ampleur de ces services est étroitement liée à l’importance de la canopée. La canopée peut se définir comme la surface couverte par la cime des arbres. On la caractérise généralement par un indice qui met en lien la surface couverte par les cimes et la surface totale d’un secteur.
Une étude récente suggère que le capital naturel du territoire de la Communauté métropolitaine de Québec et de la Table de concertation régionale pour la gestion intégrée du Saint-Laurent génère un total de plus de 1,1 milliard de dollars de bénéfices annuels.
Les services écosystémiques considérés incluent, entre autres, l’approvisionnement en eau, la réduction des inondations, l’amélioration de la qualité de l’air et la fixation du carbone. Dans ce contexte, plusieurs grandes villes se sont dotées d’objectifs ambitieux d’augmentation de canopée.
Toutefois, l’atteinte de ces objectifs est confrontée à plusieurs défis importants puisque la construction résidentielle ainsi que l’aménagement et la rénovation d’infrastructures tendent à réduire la canopée urbaine. Une partie de cette réduction est directement liée à l’espace occupé par les infrastructures alors qu’une autre découle des dommages causés aux arbres lors de leur mise en place.
En tant qu’ingénieur forestier et professeur en sylviculture et en foresterie urbaine, mes travaux de recherche m’ont amené à m’intéresser à la stabilité des arbres face au vent autant en milieu naturel qu’en milieu urbain et rural. Je me suis intéressé à l’effet de l’espèce, du type de sol et des défauts apparents sur la résistance au bris de tige et au déracinement.
Des dommages directs
La construction en milieu boisé amène des modifications générales du milieu de croissance des arbres. En ouvrant le couvert, les arbres deviennent exposés à des vents plus forts, ce qui augmente leur besoin en eau et peut compromettre leur stabilité. L’imperméabilisation des surfaces qui accompagne la construction en milieu boisé réduit l’infiltration de l’eau dans le sol et favorise plutôt son ruissellement. En combinaison, ces deux facteurs peuvent conduire à des stress hydriques et éventuellement à un dépérissement des arbres quelques années après la construction.
Les travaux de construction à proximité des arbres impliquent souvent des excavations qui endommagent une partie du système racinaire. Sur la photo : une vue de la rue Saint-Denis, à Montréal, où l’on procède à des travaux d’excavation, le 21 juillet 2019.
La construction à proximité d’arbres existants peut engendrer des dommages directs assez facilement visibles à la partie aérienne ; les dommages au système racinaire seront beaucoup plus subtils, mais peuvent avoir des conséquences plus importantes. Les racines jouent plusieurs rôles dont l’accumulation de réserves, l’ancrage au sol et le prélèvement d’eau et d’éléments nutritifs. Les dommages subis par les racines affecteront leur capacité à remplir ces diverses fonctions, avec des conséquences sur le fonctionnement général de l’arbre.
Les travaux de construction à proximité des arbres impliquent souvent des excavations qui endommagent une partie du système racinaire. Des études ont constaté que la résistance au déracinement pouvait être réduite par la coupe des racines et que cet effet pourrait perdurer plusieurs années après le dommage initial.
L’ampleur de l’effet est en lien avec l’importance de la perte de racines, celle-ci étant fonction de la distance à partir du tronc. Même si l’extension des racines peut déborder l’espace sous la cime, on considère généralement que la partie la plus importante se situe dans cette zone. L’effet de la coupe de racines sur la stabilité de l’arbre dépendra aussi de la configuration du système racinaire. Pour un arbre ayant un pivot ou des racines plongeantes se développant près du tronc, l’effet risque d’être moindre.
Réduction de la croissance
La difficulté pour l’arbre à refaire ses réserves en eau à la suite de dommages racinaires peut conduire à la fermeture des stomates, ces pores par où se font les échanges gazeux nécessaires à la photosynthèse. Cette fermeture peut alors provoquer des réductions de croissance. De plus, à la suite d’une destruction de racines, l’arbre réachemine les produits de photosynthèse vers la reconstitution du système racinaire aux dépens de la croissance de la partie aérienne.
Dans certains cas, les effets sur la croissance et la mortalité seront limités, mais les arbres sérieusement endommagés tarderont à récupérer, ce qui pourrait les rendre plus vulnérables à d’autres stress. Dans des cas où la perte de racines est trop importante, l’arbre va dépérir sur plusieurs années et éventuellement mourir. Lorsque le système racinaire parvient à se reconstituer, la croissance peut reprendre son rythme normal. Ceci sera d’autant plus facile si la tranchée était temporaire et qu’un matériel propice au développement racinaire a été remis en place à la fin des travaux.
D’autres études nécessaires
La compaction du sol par la machinerie ou l’ajout de sol au-dessus du niveau original peuvent modifier l’aération du sol ainsi que ses conditions hydriques. La diffusion de l’air vers les racines et celle du CO2 produit par la respiration des racines sera alors réduite, nuisant ainsi à leur bon fonctionnement. L’effet d’un rehaussement du sol dépendra toutefois de l’épaisseur et de la nature du sol ajouté. L’installation de systèmes d’aération souterraine a souvent été recommandée lors d’ajout important de sol, mais les études sur leur efficacité demeurent non concluantes.
La réduction des impacts de la construction passe par une planification a priori des mesures de protection à adopter ainsi que par une supervision étroite du chantier. Plusieurs normes ou guides de bonnes pratiques existent, mais leurs recommandations divergent parfois. Souvent aussi, les mesures recommandées reposent sur une base plutôt limitée d’études bien documentées. Des efforts additionnels de recherche demeurent ainsi nécessaires pour les valider et en proposer de nouvelles.
Jean-Claude Ruel, professeur en sylviculture et en foresterie urbaine, Université Laval
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.