Une nouvelle carte dessine les autoroutes des baleines
Un dangereux périple
Chaque année, les baleines parcourent des milliers de kilomètres pour suivre leurs sources de nourriture, s’accoupler et élever leurs baleineaux. Durant leur longue migration, les baleines rencontrent plusieurs dangers attribuables aux humains. Elles se prennent dans les filets de pêche abandonnés, sont heurtées par les bateaux, subissent des secousses sonores extrêmes, en plus d’être affectées par la pollution, la diminution des habitats et les changements climatiques.
Selon un nouveau rapport du World Wildlife Fund intitulé Protecting Blue Corridors: Challenges and solutions for migratory whales navigating national and international seas, ces embûches transforment le parcours des baleines en une dangereuse, parfois mortelle, course à obstacles.
Le rapport comprend une carte nouveau genre. À l’aide d’images et de données satellites, on a suivi la migration de plus d’un millier de baleines marquées pour la recherche. Les données révèlent les chemins maritimes que les cétacés suivent chaque année. Les chercheurs nomment ces voies les corridors bleus, ou autoroutes des baleines.
La carte montre les corridors qu’empruntent huit espèces de baleines autour du monde. Crédit: WWF
Avis des experts
Aurelie Cosandey-Godin, spécialiste séniore, Écosystèmes marins et navigation durable chez WWF Canada, est co-auteure du rapport et nous a offert plus de détails par courriel.
TWN : Qu’est-ce qu’une autoroute de baleines ? D'où les données proviennent-elles pour tracer les routes ?
Aurelie Cosandey-Godin : Les autoroutes des baleines sont les routes migratoires essentielles à leur survie. Ce sont les courants qu’elles suivent entre les océans pour se nourrir, se rencontrer, faire et élever des bébés. Pour la première fois, notre rapport utilise les données satellites pour tracer 845 différents parcours de migration des baleines. C’est le résultat de 30 ans de recherche avec des données provenant de plus de 50 groupes.
Quelles sont les routes qui passent par le Canada et quelles espèces peut-on y retrouver ?
Les eaux au large de toutes les côtes canadiennes sont primordiales pour les grandes baleines. Elles migrent sur des milliers de kilomètres chaque année le long des côtes et à travers les eaux internationales. Notre rapport montre les corridors migratoires des baleines bleues, des rorquals communs, des baleines à bosse et des baleines grises sur la côte ouest de l’Amérique du Nord. Une étude sur les baleines grises a suivi leur parcours annuel entre l’Arctique et le Mexique le long de la côte ouest du Canada et des États-Unis. La baleine franche de l'Atlantique Nord migre quant à elle le long de la côte est. En hiver, on les retrouve au large de la Caroline du Sud jusqu’à la Floride; au printemps, elles remontent vers les eaux fertiles du golfe du Maine et des provinces atlantiques.
Quels sont les risques pour les baleines le long de ces autoroutes, plus particulièrement en eaux canadiennes ?
L’empêtrement dans les filets (ou bycatch), les collisions avec les bateaux, la pollution chimique et sonore, la perte d’habitat et les changements climatiques sont tous des dangers pour les baleines migratrices, leurs proies et les écosystèmes marins en général. Par exemple, on estime que 300 000 cétacés meurent chaque année à cause des pêcheries. Avec le trafic maritime qui augmente, on voit aussi une augmentation des collisions entre bateaux et baleines. La pollution sonore causée par la navigation double aussi chaque décennie. Les changements climatiques ont un effet sur les proies des baleines et rendent l’alimentation plus difficile, surtout près des pôles.
Toutes ces menaces sont présentes ici dans nos eaux. Le réchauffement des mers au cours des dernières années a eu un impact direct sur les grandes baleines. Sur la côte ouest, des baleines grises se sont échouées en état de malnutrition avancée, les changements climatiques les ayant poussées à s’aventurer en eaux peu profondes en quête de nourriture. Sur la côte est, le réchauffement a poussé les baleines franches à se diriger plus vers le nord dans le golfe du Saint-Laurent, augmentant les risques de collisions et d’empêtrement.
Que peut-on faire pour diminuer les risques ? Maintenant que nous connaissons les routes, est-ce une simple question de les éviter ? Est-ce même possible de rediriger les activités humaines comme le transport ou la pêche ?
C’est assez clair que la migration est un périple dangereux. Nous demandons la protection de six corridors internationaux d’ici 2030. C’est une nouvelle approche pour la conservation des baleines qui mise davantage sur la coopération à tous les niveaux, régionaux et internationaux. Cela comprend toute une gamme d’actions, d’abord l’établissement d’un réseau d’aires protégées avec des pratiques de gestion harmonisées, dont l’élimination des prises accidentelles et de l’équipement de pêche abandonné. On voudrait aussi rediriger les bateaux hors des zones critiques autant que possible, et limiter les excès de vitesse le cas échéant.
Selon vous, quel est l’élément le plus important à tirer du rapport ?
Six des treize espèces de grandes baleines sont classées comme menacées ou vulnérables, même après des décennies de protection. Ces espèces pourraient disparaître durant cette génération, à moins qu’on agisse vraiment. Nous devons travailler tous ensemble pour protéger les autoroutes bleues, les océans et notre propre humanité.