Comment Hydro-Québec s’adapte au climat de demain
Le Plan d’adaptation aux changements climatiques d’Hydro-Québec a été présenté au public vers la fin de 2022, mais son élaboration remonte littéralement au déluge. Retour sur une démarche d’adaptation à la grandeur du Québec.
Le Québec a été marqué par deux catastrophes historiques au tournant du siècle : le déluge du Saguenay et la crise du verglas. Mais pour Hydro-Québec, ces catastrophes l’ont projeté vers l’avenir. La société d'État réalise alors qu’il n’existe pas assez d’études scientifiques fiables sur le climat québécois de demain pour mettre en place un plan d’action éclairé.
Jean-Philippe Martin, conseiller en développement durable chez Hydro-Québec, nous a raconté la genèse du Plan d’adaptation aux changements climatiques. Tout a commencé par la recherche.
« Si on se ramène 20 ans en arrière, ça allait être quoi les impacts concrets des changements climatiques? On ne le savait pas. Donc pendant plus d'une décennie, ce qu'on a fait, c'est acquérir des connaissances sur plein de sujets. On a fait des projets sur l'impact des changements climatiques sur la demande d'énergie, sur les crues, sur les feux de forêt, sur le verglas. Des projets, on en a fait à la pelletée avec Ouranos. On avait besoin de se faire une tête de l'ampleur du problème. »
En 2001, le gouvernement du Québec, Environnement Canada et Hydro-Québec ont cofondé Ouranos, un consortium de recherche qui a pour mission de s'appuyer sur des connaissances scientifiques rigoureuses afin d’aider la société québécoise à mieux s'adapter aux changements climatiques. Après plusieurs années d’études et de recherches, Ouranos est maintenant capable de brosser un portrait assez complet du climat qui nous attend.
En se basant sur ces données, les experts des différents départements d’Hydro-Québec ont été mieux en mesure d’identifier les vulnérabilités du réseau, puis d’élaborer des solutions pour continuer à fournir de l’électricité fiable malgré les changements qui nous attendent. M. Martin nous explique :
« Au Québec, on a une diversité d'aléas climatiques. On a les canicules en été, les tempêtes de verglas en hiver, les précipitations extrêmes, les orages, on a eu un derecho au mois de mai. Je pense que la plus grande vulnérabilité de notre réseau, on a les défauts de nos qualités, c'est qu'on est exposé à tout ça partout sur le territoire. Toutes nos activités se passent à l'extérieur, donc on est en contact direct avec ces événements météorologiques et il faut qu'on soit prêt à tout. »
Notre vulnérabilité est aussi notre plus grande force. Il y a un avantage à avoir des actifs dans toutes les régions. Si une catastrophe frappait le secteur de la Grande Rivière, par exemple, les barrages de la Côte-Nord ne seraient probablement pas affectés.
Le plan d’adaptation comprend un cadre de référence pour concevoir les ouvrages futurs de la société dans le contexte des changements climatiques. On doit penser à la dégradation du pergélisol, à l'augmentation de précipitations extrêmes et aux changements de régimes de vents, souligne le conseiller. Puisque les impacts des changements climatiques seront différents selon les régions, on doit aussi tenir compte des particularités régionales.
Par exemple, le futur nous réserve un changement dans le régime de précipitations, qui aura une influence sur les rivières au cœur de notre production d’énergie. Selon Jean-Philippe Martin, on s’attend à ce que l’apport en eau vers nos rivières augmente dans le contexte des changements climatiques. Cependant, on prévoit aussi des crues plus hâtives au printemps et plus fréquentes en été. Le plan d’adaptation tient compte des effets de ces changements sur les réservoirs. « On travaille à leur donner la meilleure base de données pour qu'on puisse tous travailler avec la même hydrologie en changement climatique, ce qui est nouveau pour les hydrologues. On est aussi en train d’outiller nos équipes avec des guides pour savoir comment on gère nos ouvrages en contexte de changement climatique, pour qu'ils sachent comment utiliser ces données-là », souligne M. Martin.
Selon les données d’Ouranos, on assistera également à une augmentation de la fréquence et de l’intensité des feux de forêt au Québec au cours des prochaines décennies. Il est aussi fortement probable que l’augmentation d’événements météo extrêmes, comme le derecho de mai 2022, occasionnent plus souvent des bris d’équipement. Le réseau de transport et de distribution sera donc plus à risque.
M. Martin rappelle qu’après la crise du verglas, Hydro-Québec avait déjà mis en place des procédures afin d’éviter de revivre cette catastrophe. En janvier 1998, on avait assisté à la chute en cascade d’un millier de pylônes électriques sur des centaines de kilomètres. Lors de la reconstruction de son réseau, Hydro-Québec a installé un pylône antichute à tous les 5 km, et on garde en réserve les matériaux nécessaires pour reconstruire 5 km de ligne en tout temps.
Même le banal poteau électrique a été repensé. L’air plus chaud peut contenir plus d’humidité, entraînant des conditions idéales pour la prolifération de fourmis charpentières qui réduisent la durée de vie des poteaux. Là où ils sont plus à risque, Hydro-Québec les remplacera par des poteaux en composite avec une plus longue durée de vie. Ceux-ci sont fabriqués à partir d’un mélange de fibre de verre et de résine qui offre une protection UV et une performance hydrophobique.
Le plan d’adaptation tient également compte de l’impact des changements climatiques sur les travailleurs d’Hydro-Québec. Les données météorologiques montrent que nous subissons des chaleurs extrêmes, c’est-à-dire une température de 33 °C ou plus, environ 10 à 15 jours chaque été. D’ici la fin du siècle, c’est entre 70 et 75 jours de canicule que nous connaîtrons annuellement. Lors de périodes de chaleur extrême, on doit accorder plus de repos aux travailleurs. Le travail se fait donc moins rapidement et le risque pour la santé des travailleurs est plus élevé.
Il faut aussi tenir compte des pathologies qui peuvent les affecter. On estime que les tiques porteuses de la maladie de Lyme migrent chaque année d’environ 10 km vers le nord. Plus les années passent, plus les risques augmentent pour les employés de la société d’État qui travaillent à la maîtrise de la végétation. Cet ouvrage sera de plus en plus nécessaire dans un climat en réchauffement qui favorise la croissance des végétaux envahissants. Depuis cinq ans, Hydro-Québec a doublé le budget destiné à la maîtrise de la végétation, de 62 millions en 2018 à 126 millions en 2024.
Puisque les gaz à effet de serre n’ont pas de frontières, Hydro-Québec veut aussi contribuer à réduire les émissions. C’est pour cette raison qu’elle s’est dotée en 2020 d’un Plan de développement durable qui comprend un important volet sur la décarbonation énergétique. En ce moment, 99,6 % de la production d’énergie au Québec est renouvelable. La société s’est donné un objectif de carboneutralité d’ici 2030.
Pour être durable, le développement doit se faire en harmonie avec les écosystèmes. C’est pourquoi Hydro-Québec a aussi adopté en 2022 une Stratégie en faveur de la biodiversité, qui prône pour la conservation et la connectivité des écosystèmes favorables à la biodiversité en collaboration avec les communautés locales et autochtones.
Ensemble, ces trois plans ambitieux devraient permettre à Hydro-Québec de mener à bien sa mission première : fournir une électricité fiable aux Québécois, peu importe ce que l'avenir nous réserve.