Lac-Mégantic : de la tragédie à la transition écologique
Dix ans après avoir été dévastée par la pire tragédie ferroviaire de l’histoire du Canada, la ville de Lac-Mégantic se relève plus verte et solidaire, visant à devenir un modèle de développement durable pour le Québec. Rencontre avec des gens des plus inspirants.
Tout le Québec connait l’histoire... La nuit du 6 juillet 2013, un train fou tirant 72 wagons-citernes remplis de pétrole a déraillé au centre-ville de Lac-Mégantic. L’accident et les incendies qui ont fait rage pendant plusieurs jours ont coûté la vie de 47 personnes et détruit le cœur de cette communauté. Les impacts environnementaux sur le sol, la rivière et le lac sont inimaginables et prendront des années à être réparés.
Dix ans plus tard, on pourrait croire que rien n’a changé. La tragédie a laissé des cicatrices toujours bien présentes sur la ville et ses habitants. Les trains transportant des matières dangereuses roulent toujours en plein centre-ville au milieu des monuments commémoratifs. Bien qu’il y ait eu quelques améliorations, les critiques déplorent les pratiques et réglementations qui encadrent le transport de pétrole et de produits chimiques, qui ont peu évolué et continuent de poser des dangers pour la population, comme en témoigne le déraillement à East Palestine en Ohio plus tôt cette année.
Mais quand on visite Mégantic, on observe une profonde transformation. Du trauma collectif émergent une communauté engagée et un sentiment de responsabilité écologique qui guide tout le processus de reconstruction. MétéoMédia est allé à la rencontre de l’équipe chargée de ce grand projet peu après les cérémonies de commémoration du dixième anniversaire, non pour se remémorer la tragédie, mais bien pour célébrer tous les progrès accomplis depuis.
Le pouvoir du peuple
Julie Morin est mairesse de Lac-Mégantic depuis 2017, élue alors qu’elle n’avait que 34 ans.
Sa vision pour la ville est novatrice, ancrée dans les valeurs de développement durable, d’écoresponsabilité et de qualité de vie. Elle insiste cependant qu’elle n’est que le reflet de la volonté des citoyens.
« Il y avait déjà un ADN à Lac-Mégantic de développement durable, ça c’est clair. Je pense que la tragédie nous a ramenés à l’essentiel. Ce dont je suis le plus fière, c’est de la communauté. Parce que tous ces projets-là, ils sont issus de citoyens. Ultimement, une mairesse toute seule, ça ne fait pas grand-chose. »
En 2020, Lac-Mégantic a créé la Commission de l’Innovation et de la Transition Écologique (CITÉ), une commission permanente pour se pencher sur les enjeux de développement durable. Elle est formée de deux élus et de neuf citoyens ordinaires qui se réunissent pour émettre des recommandations à la ville et organiser des activités pour soutenir les citoyens dans la transition écologique. La CITÉ s’implique pour innover dans plein de domaines dont le transport et la construction. Parmi leurs initiatives, les subventions pour se procurer des véhicules ou appareils électriques afin de réduire les émissions — le budget annuel a dû être doublé après 6 mois à cause de l’engouement.
Mégantic est une petite ville avec de grandes ambitions. Comme nous l’explique Stéphane Vachon, directeur du développement économique de la ville, l’idée est de tout reconstruire en mieux.
« On parle de diversification économique. La prochaine économie, celle qui va faire s’occuper du climat comme il faut, elle va amener des opportunités différentes de celles d’aujourd’hui. Pour les promoteurs, il y a des sous à faire avec ça. On ne sait pas encore quelle couleur ça va avoir, quelle forme ça va avoir, mais c’est déjà commencé. Il faut s’ouvrir à toutes ces opportunités-là. On prépare une terre d’accueil pour faire de la recherche appliquée, de la formation universitaire. On veut faire aussi l’incubation d’entreprises start-up dans le secteur de la transition énergétique. »
Le parc éolien du Granit est un bon exemple. Détenu en partie par les municipalités de la MRC du Granit, dont Mégantic, le projet génère des bénéfices en plus de l’électricité renouvelable. Une grande partie des redevances que reçoit la ville sont réinvesties dans les initiatives vertes, dont les subventions si populaires auprès de la population. Mais même pour des gens d’affaires comme M. Vachon, les objectifs vont au-delà des profits.
« Il faut se le dire, le défi climatique est important. C’est un défi humanitaire, il faut que tout le monde y participe. Alors nous, on fait ça à petite échelle, avec ce qu’on vit ici. Si ça peut être utile à d’autres municipalités, c’est ça notre objectif. »
Énergie locale
Au cœur de cette transformation verte, on retrouve le microréseau. En partenariat avec Hydro-Québec, plus de 2200 panneaux solaires ont été installés sur les toits du nouveau centre-ville pour former un réseau autonome. En temps normal, les panneaux peuvent générer environ 800 kW (avec du stockage pour 700 kWh) pour complémenter l’approvisionnement en électricité du réseau principal. Mais le microréseau peut aussi fonctionner de façon autonome pour alimenter les immeubles qui y sont connectés.
*Un kiosque au centre-ville près de la gare montre les données en temps réel sur l’utilisation et l’alimentation du microréseau, afin de faire découvrir le projet et de promouvoir l’efficacité énergétique auprès des visiteurs. *
Mathieu Pépin, ingénieur chargé de projet en transition énergétique, nous a fait visiter les installations et expliqué la philosophie derrière. « Ça ressemble un peu au modèle d’agriculture locale. Produire localement pour distribuer et consommer localement. Quand on fait ça, on dirait qu’on a une meilleure compréhension de la valeur du légume, dans le cas de l’agriculture, dans notre cas de l’énergie. On est fier de dire que quand il fait beau soleil, on fonctionne seulement sur de l’énergie propre locale. »
Le microréseau est certes petit, mais ses applications sont plus larges. Il procure à Hydro-Québec une foule de données et d’expérience pour un jour amener le concept de microréseau renouvelable à d’autres communautés plus éloignées qui dépendent toujours des énergies fossiles. Il permet aussi de tester de nouvelles technologies, dont les panneaux solaires bifaciaux qui peuvent capter les rayons du soleil des deux côtés, augmentant leur rendement de 10 à 15 %.
À l’échelle humaine
Le microréseau relie une trentaine d’immeubles au centre-ville, dont l’hôtel de ville et la nouvelle caserne des premiers répondants (qui sont volontaires, en passant, on salue les héros !) Ces nouveaux bâtiments ont été conçus et construits pour intégrer les principes de développement durable. En plus des panneaux solaires, ils visent pour la plupart la certification LEED.
Les valeurs qui guident la reconstruction de Lac-Mégantic vont au-delà de la conscience environnementale pour embrasser des notions sociales et communautaires. On cherche à bâtir un centre-ville vivable à l’échelle humaine. La place est ouverte aux vues spectaculaires du lac et des montagnes. Les parcs et espaces verts, espaces commémoratifs, services, activités, commerces et résidences se côtoient pour créer le modèle idéal de la ville 15 minutes.
Le nouveau centre-ville de Lac-Mégantic, avec à droite le Concerto (logements abordables et services), la gare devenue musée, le kiosque du microréseau et la nouvelle caserne.
Prendre ça slow
Une des grandes fiertés de Lac-Mégantic est sa certification Cittaslow. Issu en Italie comme le mouvement Slow Food, le mouvement regroupe maintenant 236 villes de 50 000 résidents et moins dans 30 pays, unis dans la recherche active d’une meilleure qualité de vie.
Lac-Mégantic est la 4e ville canadienne, et seule francophone, à avoir reçu cette distinction. Pour se faire, elle a dû rencontrer 72 critères dans plusieurs catégories, dont les infrastructures, l’urbanisme, la protection de l’artisanat et de l’agriculture, la cohésion sociale, l’inclusion, le tourisme responsable, et bien d’autres.
« De voir qu’on peut inspirer d’autres communautés, c’est gratifiant et c’est ça le but. On veut être un leader au niveau de la transition énergétique dans les petites municipalités. » déclare Julie Morin, en nous laissant sur ces paroles inspirantes :
« Mon souhait, c’est qu’on ait réussi à ce que Lac-Mégantic soit, pour le Québec, autre chose qu’une tragédie. Que les gens voient qu’on a réussi à se relever de cet événement tragique, qui a eu un impact environnemental majeur. Qu’ils voient qu’on a réussi à se relever d’une façon intelligente, qui fait du sens. »