Le charbon pourrait être une mine d’or
Les restes de charbon brûlés pourraient être une source inexploitée de matériaux au potentiel critique. D’après un reportage original de Doug Johnson de The Weather Network.
Alors que l’électrification des transports et la recherche d’énergies renouvelables augmentent la demande en batteries et en minéraux rares, les chercheurs s’intéressent aux sous-produits du charbon. Ces spécialistes voient dans de telles matières une source de minéraux critiques au potentiel riche « à court terme. »
Le charbon, qui sert ailleurs au Canada à alimenter des centrales électriques, émet en brûlant des cendres qui sont emportées par le vent. Bien que ces cendres volantes contiennent plusieurs polluants reconnus comme étant susceptibles de nuire à la santé humaine et environnementale, les particules fines peuvent aussi receler une solution climatique inexploitée.
Les chercheurs croient que les cendres volantes et d’autres sous-produits du charbon pourraient contenir des éléments des terres rares (ETR), dont certains sont essentiels à la production de biens comme les batteries, les panneaux solaires, les éoliennes et d’autres technologies vertes. Par exemple, le néodyme, que l’on retrouve couramment dans les aimants, est essentiel à la création de véhicules électriques et d’éoliennes. Les sous-produits du charbon ont déjà été étudiés comme une source possible d’ETR aux États-Unis et en Chine.
Plus récemment, une équipe de chercheurs canadiens a publié un article sur la teneur en ETR des cendres de charbon de la Saskatchewan et de l’Alberta. De manière générale, ils ont un nombre comparable d’ETR par rapport aux États-Unis et à la Chine, partage Brendan Bishop, l’un des auteurs du rapport et candidat au doctorat au département de géologie de l’Université de Regina.
Il a ajouté qu’à court terme, la collecte d’ETR à partir de cendres de charbon pourrait être un moyen pour le Canada de répondre au besoin croissant pour des éléments critiques qui, selon certains chiffres, devraient atteindre 150 millions de tonnes métriques d’ici 2050, comparativement à moins de 10 millions de tonnes métriques en 2020.
« Au départ, on voulait juste savoir la composition de ces cendres. Combien d’ETR contiennent-elles vraiment ? Et est-ce que c’est possible de les extraire ? », a déclaré Bishop.
Selon la société d’études de marché IBISWorld, il y a actuellement 6941 Canadiens qui travaillent dans l’industrie de l’extraction du charbon. L’emploi dans ce secteur a diminué de 1,6 % au cours des cinq dernières années. Le Canada a produit 48 millions de tonnes en 2021 et est le 4e plus grand exportateur de charbon au monde. Le charbon destiné à l’électricité devrait être éliminé progressivement d’ici 2030, mais en 2019, 53 % du charbon domestique était utilisé pour la production d’acier.
Bishop et son équipe ont étudié cinq échantillons de cendres volantes et de cendres résiduelles — un sous-produit plus lourd qui s’enfonce au fond de la chambre de combustion — pour vérifier leur teneur en ETR. Le but était également de documenter à quel point il serait facile de les extraire avec des acides. Pour ce faire, on a utilisé cinq échantillons prélevés dans trois centrales électriques en Saskatchewan et une usine en Alberta.
Des chercheurs de l’Université de l’Alberta ont dissous les échantillons dans de l’acide chlorhydrique et testé les résultats à l’aide d’une machine de spectrométrie de masse. L’équipe a également envoyé un échantillon pour une analyse plus poussée dans un laboratoire privé en Colombie-Britannique. En comparant les deux résultats, l’équipe a également pu voir à quel point il était facile de séparer les ETR du sous-produit.
Selon le document, la concentration d’ETR dans les échantillons canadiens variait de 258,9 à 320,5 parties par million (ppm), une quantité légèrement inférieure à la moyenne mondiale de 368 pmm. Le nombre de ces ETR qui sont également des éléments critiques variait de 32,5 à 38,7 %. La mesure dans laquelle l’acide a retiré les ETR des échantillons variait également selon l’endroit d’où ils provenaient. L’acide a extrait 100 % des éléments désirés de l’échantillon d’usine de Poplar River.
Cependant, les échantillons des trois autres sites en Saskatchewan et d’un autre en Alberta ont vu ce nombre fluctuer énormément entre 3 % et 65 %. Bishop a déclaré que cela est probablement dû à la structure du charbon lui-même. Les cendres volantes qui répondaient le mieux à l’acide provenaient de charbon riche en fer, qui se décompose facilement. Les échantillons les moins réactifs provenaient quant à eux de charbons « vitreux », riches en silicates ou d’autres structures plus difficiles à décomposer, a-t-il déclaré.
D’une manière générale, la collecte des ETR implique probablement l’utilisation d’un acide pour les séparer des déchets de charbon. Cependant, certains chercheurs explorent une approche similaire en utilisant d’autres méthodes, comme l’utilisation de bactéries extrêmophiles pour absorber les ETR des eaux usées minières.
Décomposer le sujet
Il y a encore du travail à faire sur le terrain, cependant. D’une part, les concentrations en ETR des sous-produits du charbon sont faibles, par rapport aux exploitations minières traditionnelles. Les acides puissants peuvent également avoir un impact sur l’environnement.
Cependant, Bishop a noté que dans ses recherches, ils ont commencé avec un acide particulièrement puissant, et qu’il est possible que des acides plus faibles fonctionnent également. « Nous pourrions être en mesure d’utiliser certains acides organiques, comme l’acide citrique ou l’acide lactique, ou l’acide acétique, quelque chose qui est beaucoup plus respectueux de l’environnement, beaucoup moins cher et plus facile à produire », a-t-il déclaré.
La suppression des éléments individuels de la solution, qui contient de nombreux composés différents, pose également un problème technique, a déclaré Bishop. Cependant, il a fait remarquer qu’il y a eu des travaux dans ce domaine, y compris à l’installation de traitement des terres rares du Saskatchewan Research Council.
« Donc, vous pouvez le décomposer, puis vous avez tous vos différents métaux dans une solution. Le défi est de séparer les éléments rares de tout le reste », a-t-il déclaré.
Un festin (potentiellement) mobile
Selon Bishop, il serait beaucoup plus facile de mettre sur pied une usine utilisant des acides pour recueillir des ETR que de construire une nouvelle mine pour ces éléments, ce qui peut prendre entre 15 et 20 ans en Ontario, selon un article paru dans le Financial Post citant le gouvernement de la province.
Le projet n’implique pas de construction majeure ou d’exploration pour repérer les minéraux. La rapidité de mise en place de solutions de recyclage de sous-produits du charbon est un atout de taille, puisque le Canada s’apprête à éliminer progressivement les véhicules à essence d’ici 2035. Même si on commence à bâtir de nouvelles mines pour répondre à la demande, elles ne pourront pas produire assez de matériaux à temps. On doit trouver d’autres sources.
À l’heure actuelle, les centrales au charbon éliminent les sous-produits soit en les jetant dans des étangs de cendres, ce qui peut potentiellement contaminer les eaux souterraines avec des éléments nocifs comme le plomb et le mercure. D’autres les envoient vers des sites d’enfouissement ou les recyclent dans le béton ou d’autres usages. Il est toujours possible d’extraire les ETR des cendres déjà rejetées, a expliqué Bishop.
De plus, puisque l’approche ne requiert que de grands contenants et des quantités d’acide, l’opération de recyclage pourrait se déplacer d’une usine à l’autre.
En théorie, la collecte d’ETR critiques à partir de sous-produits du charbon pourrait également créer des emplois pendant la transition du Canada vers la carboneutralité, a-t-il ajouté. Cela pourrait inclure des emplois dans des communautés qui ont traditionnellement compté sur les mines de charbon ou les centrales électriques, en les aidant jusqu’à ce que de nouvelles industries apparaissent.
Selon Bishop, il est encore trop tôt pour dire s’il s’agit vraiment d’une avenue de solution viable qui pourrait être mise à l’échelle pour produire suffisamment d’ETR. Cependant, il croit qu’il pourrait s’agir d’une solution « à court terme » pour répondre à la demande qui explose.