Préserver les forêts en protégeant les tourbières
Les tourbières possèdent de multiples qualités, dont la capacité de filtrer et purifier l’eau. Mais saviez-vous qu’elles contribuent aussi à aider la faune et la flore à se rétablir plus rapidement après un incendie ?
Surnommées refuges climatiques du fait de leur proximité avec l’eau, les tourbières agissent également en tant qu’abri où les végétaux, animaux et autres formes de vie peuvent résister aux pires effets du changement climatique, tel que les incendies de forêt qui ravagent le Québec cette année.
De nouvelles recherches montrent que dans les forêts boréales du nord de l’Alberta, les tourbières peuvent aider à créer des refuges durant des incendies de forêt. Par ailleurs, les 92 000 kilomètres carrés de terres gorgées d’eau de cette province stockent actuellement environ 19,9 milliards de tonnes de carbone. Ce carbone risque d’être libéré dans l’atmosphère à cause de l’extraction minière et pétrolière menée par les humains, et en raison du changement climatique.
« Potentiellement, on peut les considérer comme des zones de refuge pour, disons… des plantes indigènes de la région, qui peuvent ensuite réensemencer les zones brûlées », a expliqué Christine Kuntzemann, analyste du changement climatique au Service canadien des forêts (SCF) et co-chercheuse de l’étude, à The Weather Network.
« Elles sont également importantes parce qu’elles sont un peu comme un refuge pour la faune, à la fois dans l’immédiat et dans le futur. »
Cartographier l’humidité
Lors de sa recherche, Christine Kuntzemann et ses collègues ont examiné les données satellitaires du nord fortement boisé de l’Alberta, entre 1985 et 2018. Ils ont analysé des données de la Base nationale de données sur les feux de forêt du Canada et des données sur la gravité des surfaces brûlées provenant de travaux antérieurs de collègues. Ces derniers ont également étudié d’autres facteurs tels que les variations annuelles de température, l’humidité du sol et le type de végétation dans différentes parties de la région et d’autres données provenant de diverses sources, dont l’Alberta Biodiversity Monitoring Institute.
L’équipe a inscrit ces données dans un modèle statistique qui a généré une sorte de carte du nord de l’Alberta montrant la probabilité qu’une parcelle de terrain donnée soit un refuge pour la flore et la faune. Pour les besoins de la recherche, les refuges contre les incendies de forêt étaient considérés comme des parcelles de terrain qui semblaient être relativement épargnées par les incendies.
Emplacement des hautes terres et des terres humides dans une partie de la région boréale de l’Alberta, vu dans un article récent sur la façon dont les tourbières favorisent les refuges climatiques dans les forêts du nord de la province. (Source : Christine Kuntzemann)
En général, les tourbières semblaient être des refuges susceptibles de résister aux incendies de forêt. Les marécages boisés — une sorte de tourbière souvent alimentée par un ruisseau ou une rivière — étaient 64 % plus susceptibles que les régions boisées des hautes terres de ne pas être brûlés. Les endroits proches des tourbières avaient également de bonnes chances de résister aux flammes. Les zones boisées avaient jusqu’à six fois plus de chances d’être des refuges lorsqu’il y avait plus de tourbières ombrotrophes à proximité (les tourbières ombrotrophes tirent leur humidité de l’eau de pluie accumulée).
Selon Kuntzemann, les tourbières éloignent les incendies de forêt de différentes manières. En moyenne, ils ont plus de matière végétale humide que d’autres habitats tels que les forêts. De plus, l’eau de certains types de tourbières peut s’infiltrer dans les zones voisines, les rendant moins inflammables.
Mais Diana Stralberg, chercheuse au Service canadien des forêts et l’une des coauteurs de l’article, a déclaré que l’on ne savait pas grand-chose sur la façon dont les tourbières tamponnent les zones voisines. C’est une « question un peu ouverte », a-t-elle déclaré à The Weather Network, ajoutant que des facteurs tels que des années particulièrement sèches ou chaudes peuvent en atténuer l’effet.
« Elles peuvent être submergées par le feu (ou) subir des conditions météorologiques extrêmes », a-t-elle déclaré, ajoutant que son équipe prévoyait faire davantage de recherches sur la manière dont les tourbières protègent les zones voisines.
Kuntzemann a noté qu’il est difficile d’appliquer les résultats de son étude à d’autres régions. Par exemple, les forêts de l’Ontario et du Québec devraient devenir plus humides plutôt que plus sèches, a-t-elle dit, de sorte que le scénario se déroulerait probablement différemment.
Une vue aérienne de trembles brûlés près de Fort McMurray, en Alberta. (Source : Ellen Whitman)
Protéger la tourbe
Les tourbières de l’Alberta ne sont pas suffisamment protégées, selon Phillip Meintzer, spécialiste de la conservation à l’Alberta Wilderness Association. Le gouvernement provincial a établi la Alberta Wetland Policy en 2013, mais elle met fortement l’accent sur la compensation des dommages causés par les activités humaines sur les terres humides et permet toujours à l’industrie d’utiliser et d’endommager les zones.
Ce qui pose problème puisque les tourbières se forment en raison de l’accumulation de matières végétales mortes sur des milliers d’années, de sorte que la compensation n’est pas un processus simple ou facile. Il soutient que le gouvernement provincial doit créer de nouvelles politiques qui protègent les tourbières du développement. « Dans l’ensemble, nous ne faisons pas un excellent travail. »
Selon Kuntzemann, l’avantage supplémentaire qu’offrent les tourbières en agissant à titre de refuges durant les incendies de forêt accentue l’importance de les protéger. Cette dernière croit que la province devrait intensifier ses efforts.
« Plus nous en apprenons sur les tourbières, plus nous les trouvons importantes à bien des égards » a-t-elle déclaré. « Ce sont aussi des réservoirs de carbone très importants. Plus on perturbe leur hydrologie, moins elles sont capables de fonctionner à leur meilleure capacité ».
Image bannière : La tourbière de l’Alberta brûlée en 2015. (Source : Ellen Whitman)