Les feux en Amazonie accélèrent la fonte des glaciers des Andes
Les feux en Amazonie accélèrent la fonte des glaciers des Andes
Matthew Harris, Université Keele
Si vous avez allumé la télévision, votre ordinateur, ou lu les nouvelles au cours des derniers mois, vous avez probablement entendu parler des vastes incendies qui ont ravagé la forêt amazonienne cette année. Si des feux brûlent tous les ans dans cette forêt, pendant les 11 derniers mois, le nombre d’incendies y a augmenté de plus de 70 % par rapport à 2018, ce qui indique une accélération importante du déboisement par les industries forestière et agricole du pays.
La fumée des feux s’élevait haut dans l’atmosphère et pouvait être vue de l’espace. Certaines régions du Brésil se sont couvertes d’une épaisse fumée qui a causé la fermeture d’aéroports et assombri le ciel des villes.
En brûlant, la forêt pluviale libère d’énormes quantités de dioxyde et de monoxyde de carbone et des particules plus grosses de ce qu’on appelle le « carbone noir » formé de fumée et de suie. L’expression « énormes quantités » ne rend pas la pleine mesure de la situation : chaque année, la combustion des forêts et des prairies d’Amérique du Sud émet dans l’atmosphère la quantité monstrueuse de 800 000 tonnes de carbone noir.
Cette quantité effarante représente presque le double du carbone noir produit par l’ensemble de la consommation d’énergie en Europe sur 12 mois. En plus de causer des problèmes de santé et de contribuer au réchauffement climatique, ces émissions favorisent aussi la fonte des glaciers, comme l’indiquent un nombre croissant d’études scientifiques.
Dans un article publié dans la revue Scientific Reports, une équipe de chercheurs a décrit comment la fumée des incendies dans la forêt amazonienne en 2010 a accéléré la fonte des glaciers andins.
Amérique du Sud : la cordillère des Andes longe l’extrémité ouest du bassin amazonien (centre). Source : AridOcean/Shutterstock
Lorsque les feux en Amazonie produisent du carbone noir pendant la saison des incendies (d’août à octobre), les vents transportent des nuages de fumée vers les glaciers andins, dont certains se trouvent à plus de 5 000 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Bien qu’invisibles à l’œil nu, les particules de carbone noir affectent l’albédo, c’est-à-dire la capacité de la neige à réfléchir la lumière solaire. De la même façon qu’une voiture de couleur foncée se réchauffe plus vite sous la lumière directe du soleil qu’une voiture de couleur claire, les glaciers recouverts de carbone noir absorbent plus de chaleur et fondent plus rapidement que les autres.
En utilisant une modélisation par ordinateur du déplacement des particules dans l’atmosphère, connue sous le nom de HYSPLIT, l’équipe a pu montrer que les panaches de fumée de l’Amazonie sont transportés par les vents vers les Andes, où ils retombent comme une brume invisible sur les glaciers. Les chercheurs ont constaté que les incendies en Amazonie de 2010 ont provoqué une augmentation de 4,5 pour cent du ruissellement des eaux du glacier Zongo en Bolivie.
*Le glacier de Zongo se trouve sur un versant du Huayna Potosi, une des plus hautes montagnes de Bolivie. Soruce : Ryan Michael Wilson/Shutterstock *
Les auteurs ont aussi découvert que l’effet du carbone noir dépend de la quantité de poussière qui recouvre un glacier. Ainsi, si la quantité de poussière est élevée, le glacier absorbera une bonne partie de la chaleur qui aurait pu être absorbée par le carbone noir. La déforestation est une des raisons pour lesquelles les niveaux de poussière ont doublé en l’Amérique du Sud au cours du XXe siècle.
Les glaciers constituent une des ressources naturelles les plus importantes de la planète. Les glaciers de l’Himalaya fournissent de l’eau potable à 240 millions de personnes, et 1,9 milliard de personnes en dépendent pour leur alimentation. En Amérique du Sud, les glaciers sont cruciaux pour l’approvisionnement en eau : dans certaines villes, comme Huaraz (Pérou), plus de 85 pour cent de l’eau potable provient des glaciers en période de sécheresse. Cependant, ces sources d’eau vitales sont de plus en plus menacées à mesure que la planète connaît les effets du réchauffement climatique. Les glaciers des Andes disparaissent à grande vitesse depuis une cinquantaine d’années.
On prévoit que la ceinture tropicale de l’Amérique du Sud va s’assécher et devenir plus aride à mesure que le climat va changer. Un climat plus sec entraîne plus de poussière et d’incendies, mais aussi plus de sécheresses, ce qui rend les villes plus dépendantes de l’eau des glaciers.
Malheureusement, comme le montre une étude, les incendies favorisés par des conditions sèches contribuent à accroître la vitesse de disparition de ces sources d’eau vitales. Le rôle du carbone noir dans la fonte des glaciers est extrêmement complexe et, pour le moment, les modèles climatiques utilisés pour prédire la fonte future des glaciers andins n’en tiennent pas compte. Selon cette étude, cela entraîne probablement une sous-estimation du taux de fonte glaciaire dans bon nombre d’évaluations actuelles.
Étant donné que de nombreuses collectivités dépendent des glaciers pour leur approvisionnement en eau et que ces mêmes glaciers risquent de fondre plus rapidement à mesure que le climat se réchauffe, l’examen de processus complexes comme les effets du carbone noir et les changements dans l’albédo est plus que jamais nécessaire.
[Vous aimez ce que vous avez lu ? Vous en voulez plus ? Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire. ]
Matthew Harris, PhD chercheur, science du climat, Université Keele
La version originale de cet article a été publiée sur La conversation.