CONVERSATION : Le confinement ne profite pas à toute la faune
Le confinement ne profite pas à toute la faune - de nombreux animaux dépendent de nous pour leur survie.
Des canaux vénitiens qui se sont éclaircis aux troupeaux de chèvres qui errent autour de Llandudno, au Pays de Galles, on constate un retour de la nature depuis le début du confinement de millions d’êtres humains.
Mais récemment, des employés de la réserve naturelle de Meltham, dans le West Yorkshire, ont signalé l’arrivée d’un milan royal qui était amaigri et incapable de se nourrir seul.
Le milan royal, un oiseau, cherche de la nourriture de manière opportuniste, de la même manière que leurs ancêtres utilisaient des tas d’ordures. Mais l’arrivée récente du milan royal à Meltham suggère peut-être que les restrictions dans les déplacements — qui ont contribué à la diminution des accidents de la route — ne conviennent pas à ces oiseaux de proie qui ont longtemps été persécutés.
Cela soulève des questions sur l’impact du confinement sur la faune — pour le meilleur et pour le pire.
Brun roux, avec une queue fourchue orange caractéristique, le destin des milans royaux a profondément changé au cours des dernières décennies. Ils ont été confinés au Pays de Galles dans les années 1980 après avoir été chassés, car considérés comme nuisibles. Puis ils ont été contaminés par les pesticides et souffert de consanguinité. Mais à la suite de programmes de réintroduction, qui ont débuté dans les années 1990, on a vu leur nombre grimper en flèche.
Des milans royaux provenant de nids européens ont été relâchés à travers l’Angleterre et l’Écosse. Soutenu par diverses initiatives, leur nombre est passé d’une vingtaine au début des années 1960 à environ 1 600 au Royaume-Uni aujourd’hui.
« Espaces humains »
Le « retour » apparent d’animaux sauvages dans les « espaces humains », en raison sans doute de l’absence de ces mêmes humains, a attiré l’attention de plusieurs d’entre nous.
Les Britanniques confinés signalent (ou remarquent) davantage d’animaux dans leurs jardins, ou se connectent pour regarder des vidéos de cette nouvelle faune sur le web. L’observation des oiseaux occupe désormais une place de choix dans les médias sociaux, les gens étant désireux de repérer leurs nouveaux amis lors de leurs promenades quotidiennes.
À Montréal, des dindons sauvages ont été aperçus dans l’arrondissement Pointe-aux-Trembles.
Pour d’autres, les signes de ce renouveau écologique donnent du crédit aux idées que la Covid-19 serait une « revanche de la nature ». L’arrogance et la myopie de l’humanité et ses désirs d’exploiter, de consommer et de réorganiser la faune et la flore en fonction de ses propres intérêts économiques ont créé des conditions dans lesquelles un virus en Chine peut rapidement devenir une pandémie mondiale. Comme l’a fait remarquer un biologiste américain : « Nous nous sommes nous-mêmes infligé ce virus ».
Mais le cas du milan royal émacié cadre mal dans une telle analyse. Dans ce cas-ci, notre retrait du monde n’a pas créé d’opportunités pour une reconquête triomphante de l’oiseau, mais elle l’a plutôt fragilisée.
La nature et le virus
Ces récits de vengeance et de « retour » de la « nature » agissent comme si elle était extérieure aux vies et aux espaces humains. Pourtant, de nombreuses recherches et études universitaires, notamment en géographie, démontrent que les animaux sont — et ont toujours été — présents dans notre environnement. Les macaques sont en voie d’établir de nouveaux territoires urbains dans les villes indiennes. Des espèces rares de syrphes, des insectes proches des guêpes, vivent dans les parcs et les cimetières de Londres. Et les faucons pèlerins habitent dans les constructions humaines même si elles n’ont pas été prévues pour les héberger.
L’idée que la nature existe en tant que domaine « extérieur », distinct de la société, a longtemps été une caractéristique de la manière dont les gens, du moins en Occident, la conçoivent. C’est le cas, notamment, lorsque nous faisons l’apologie des contrées sauvages lointaines.
Mais le milan royal affamé suggère une réalité différente, une réalité où les humains, les rapaces et les virus sont entremêlés. Un tel « enchevêtrement » soulève des questions importantes sur notre relation et notre obligation envers les autres. Cela est particulièrement pertinent dans le contexte où nous vivons une crise environnementale provoquée par l’humain.
Vivre ensemble
La situation du milan royal offre une autre perspective sur cette idée que la nature forme une entité séparée de nous. Car il s’agit d’une espèce dont le nombre a d’abord diminué au Royaume-Uni, puis augmenté grâce à des actions humaines.
Comme beaucoup d’animaux qui se sont adaptés avec succès pour vivre aux côtés des humains, le milan royal est un opportuniste qui tire le meilleur parti de nos activités. Lorsque ces opportunités s’évanouissent, il devient évident qu’un tel oiseau ne peut s’épanouir qu’en raison, et non pas en dépit, de notre présence. Il est clair que les bénéfices obtenus par un retrait des humains sont inégalement répartis entre les espèces non humaines.
En Turquie, par exemple, le gouvernement a mobilisé des ressources afin de nourrir des milliers d’animaux errants dans les villes, laissés affamés à cause du confinement.
L’absence d’activité humaine dans de nombreuses réserves naturelles démontre que certains habitats sont dépassés par des espèces envahissantes (que nous avons nous-mêmes introduites).
De même, l’absence d’humains pour gérer la chasse illégale d’animaux menacés d’extinction au Kenya pourrait s’avérer désastreuse. De nombreuses réserves naturelles seront touchées par la diminution du tourisme, ce qui aura des répercussions sur le travail de conservation.
Face à cela, il est normal que ces histoires sur le « retour » de la nature aient été sujettes à parodie en ligne. La réalité est que les relations humaines avec les autres êtres vivants sont beaucoup plus complexes. Dans une certaine mesure, le milan royal de Meltham nous rappelle que nous – animaux et humains — sommes tous dans le même bateau.
Ben Garlick, Lecturer in Human Geography, York St John University
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.
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