Nos voitures les plus grosses et énergivores au monde
Embouteillage sur le Pont Jacques-Cartier, à Montréal. Les véhicules canadiens sont gros, lourds et consomment énormément d’essence. La rigueur du climat? Plus de 80% des Canadiens vivent dans des zones urbaines où une petite voiture suffit. Shutterstock
Blake Shaffer, University of Calgary
Habituellement on se réjouit lorsque le Canada arrive en tête d’un classement international. Mais pas dans ce cas-ci.
Un récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie indique que les véhicules au Canada ont la plus haute moyenne de consommation de carburant et d’émissions de dioxyde de carbone par kilomètre parcouru. Ils sont également les plus gros et les deuxièmes plus lourds au monde.
En bref : les véhicules canadiens sont gros, lourds, et consomment énormément d’essence. En tant que pays qui se fait le champion de son plan d’action sur le climat, comment pouvons-nous concilier ces faits?
Une comparaison internationale des émissions de véhicules. Agence internationale de l’énergie; tableau par Blake Shaffer
Bien des gens soulignent le vaste territoire du Canada — souvent relié par des routes loin d’être idéales — et la rigueur de notre climat pour justifier l’utilisation de gros véhicules. Ces arguments ne sont pas convaincants.
Plus de 80 pour cent des Canadiens vivent dans des régions urbaines ou suburbaines où un véhicule plus modeste suffit à la plupart des activités.
Quant aux grandes distances, elles exigent en fait de réduire, et non d’augmenter, la consommation de carburant. Et si on invoque le temps froid comme excuse pour acheter un VUS, des pays aux températures glaciales similaires — Suède, Finlande et Islande — ont tous réussi à survivre avec des véhicules à faibles émissions.
Alors, comment expliquer la préférence des Canadiens pour les voitures énergivores?
Normes d’économie de carburant
Les constructeurs automobiles nord-américains produisent de plus grosses voitures que leurs concurrents européens ou asiatiques. Ceci reflète en partie les préférences des consommateurs, mais c’est aussi le résultat des campagnes de publicité et des économies d’échelle dans la production qui poussent les acheteurs vers les VUS.
Les normes d’économie de carburant au Canada et aux États-Unis visent à inverser cette pression, en poussant les fabricants à produire des véhicules plus écoénergétiques. Elles y ont réussi jusqu’à un certain point : la consommation de carburant moyenne des voitures et des camions a diminué considérablement depuis 2005. Cependant, la tendance de la consommation moyenne de carburant au Canada s’est stabilisée récemment, sans presque aucune amélioration depuis 2013.
Moyenne de consommation de carburant des véhicules canadiens, 2005-2017. Agence internationale de l’énergie; tableau par Blake Shaffer
Le ralentissement des améliorations d’économie de carburant est dû en grande partie aux types de véhicules qu’achètent les Canadiens. Les Toyota Camry et Honda Civic, qui étaient jadis les préférées de la famille canadienne moyenne, ont cédé la place aux Ford F-150 et Dodge Rams.
Le virage en faveur des camions, y compris les VUS, multi-segments et fourgonnettes, au cours de la dernière décennie a été phénoménal. Et avant de pointer du doigt des régions telles que l’Alberta, notons qu’il s’agit une tendance enregistrée dans chaque province au Canada.
Les ventes de véhicules neufs indiquent une nette préférence pour les camions. Statistique Canada. Tableau par Blake Shaffer
Est-ce que plus gros c’est mieux?
Les Canadiens disent qu’ils achètent maintenant des camions en grand nombre parce qu’ils sont plus sécuritaires.
Selon la croyance populaire, plus les voitures sont grosses, plus elles sont sécuritaires lors d'une collision. Ceci est à moitié vrai. Le poids d’un véhicule influe effectivement sur la probabilité d’un décès lors d’une collision, mais seulement en termes relatifs.
Une comparaison internationale du poids des véhicules. Agence Internationale de l’énergie; tableau par Blake Shaffer
Lorsque des véhicules de taille similaire entrent en collision, il y a peu de différence quant aux résultats qu’ils soient gros ou petits. Toutefois, quand un gros véhicule en percute un petit, les résultats sont (comme il faut s’y attendre) beaucoup plus graves pour les passagers du petit véhicule.
Cela nous mène à la notion des externalités de la dimension du véhicule : l’achat d’une voiture plus massive impose des coûts de sécurité aux conducteurs de plus petites voitures. Cela soulève aussi la course aux armements par véhicules interposés, les conducteurs se procurant des voitures de plus en plus imposantes afin de se protéger, alors que la sécurité serait tout aussi efficace si tout le monde conduisait de petits véhicules semblables.
C’est en raison des coûts
La principale raison, et de loin, pour la présence de véhicules énergivores au Canada est liée aux coûts. Autrement dit, acheter et entretenir de tels véhicules coûte beaucoup moins cher au Canada (et aux États-Unis) que dans le reste du monde.
Cette différence de coût comprend deux volets : les frais d’enregistrement du véhicule et le prix de l’essence.
En Europe, l’enregistrement du véhicule est souvent basé sur sa performance en termes d’économie d’essence et d’émissions. En France, par exemple, on applique une échelle variable «bonus-malus» (ou «éco-incitatif») à l’achat d’une voiture. Des frais d’enregistrement pouvant atteindre 10 000 € sont imposés aux véhicules les plus polluants, alors qu’on accorde une remise de 6000 € aux véhicules à émissions nulles. Et en Norvège, où les véhicules neufs font l’objet d’une taxe sur la valeur ajoutée de 25 pour cent et des frais d’enregistrement pouvant atteindre 10 000 €, les véhicules électriques en sont complètement exemptés. Il n’est guère étonnant que la Norvège détient la part la plus élevée des ventes de voitures particulières électriques neuves.
Proportion des ventes de voitures électriques rechargeables neuves (2018) Statista.com; ACEA, CAAM, InsideEVs, KAIDA
On pense souvent que ces frais initiaux pourraient remplacer les taxes sur le carbone pour inciter les consommateurs à choisir des véhicules plus petits et moins polluants. Et comme la Norvège l’a démontré, ils peuvent être efficaces.
Toutefois, une autre recherche a révélé que les éco-incitatifs sont moins avantageux que les taxes sur le carbone ou le carburant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les taxes sur le carbone ciblent mieux les conducteurs qui roulent beaucoup, tandis que pénaliser les énergivores qui roulent occasionnellement peut être une façon très inefficace (et coûteuse) de réduire les émissions.
Le prix à la pompe
Mais la raison la plus importante pour laquelle les Canadiens conduisent des véhicules plus polluants est peut-être le prix du carburant. Il y a une nette corrélation entre le prix de l’essence et la consommation moyenne de carburant des véhicules. Là où les prix sont bas, comme au Canada et aux États-Unis, la consommation de carburant tend à être élevée.
Une comparaison internationale des prix de l’essence et de la consommation moyenne de carburant. Source de données : AIE et Banque mondiale; tableau par Blake Shaffer
Alors que la plupart des gens mettent l’accent sur les taxes sur le carbone pour réduire les émissions en décourageant la conduite automobile, la hausse du prix de l’essence peut aussi influer sur le choix d’achat d’une voiture.
Dans un article bien titré «Frugal cars or frugal drivers?», les économistes Werner Antweiler et Sumeet Gulati de l’Université de Colombie-Britannique ont examiné la réaction des conducteurs à la taxe provinciale sur le carbone.
Ils ont découvert que les gens commençaient à acheter et conduire des véhicules moins polluants. Selon leurs calculs, sans la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique, la demande par habitant serait supérieure de sept pour cent et l’efficacité énergétique moyenne des véhicules inférieure de quatre pour cent.
Les taxes sur le carbone peuvent être impopulaires pour plusieurs, mais elles jouent un rôle important en déterminant quels sont les véhicules qui circuleront sur les routes maintenant — et dans l’avenir.
Blake Shaffer, Adjunct assistant professor, University of Calgary
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.