Elle grandit sur une île de 64 km2
Sandra Le Couteur vient du bout du monde. Arrivés à destination, même les oiseaux virent de bord ! C’est dans la péninsule acadienne, au Nouveau-Brunswick, que l’on ira se poser un moment, le temps de découvrir cet endroit poétique qu'est l’île Miscou.
Une île, selon Sandra, pas plus grande qu’une feuille de papier. Elle fait 8 par 11. Tout au bout, c'est la rencontre de la Baie-des-Chaleurs avec le golfe du Saint-Laurent. Et si on s’étire le cou bien gros, on peut s’imaginer en face, Chandler.
__« C'est extraordinaire. Tu ne peux pas aller plus loin, tu tombes dans les limbes, même si les limbes n'existent plus. C'est l'infini. » - Sandra Le Couteur, interprète __
BERLICOCO
C’est sur cette île de 64 km2 que Sandra Le Couteur a grandi. Elle que l’on surnomme aujourd’hui «la diva » ou « la grande dame de la chanson acadienne » a passé sa vie avec de l'acouphène de mer dans les oreilles.
« À part le son des vagues, j’ai été élevée avec les berlicocos ! Les bigorneaux, tu sais! Nous autres, on appelle ça des berlicocos. On avait ça entre les orteils, on n'avait pas de sandales. C’était comme ça. On en ramassait tout plein parce que c’est bon en plus ! »
Quand elle me parle de cet endroit qu’elle aime d’amour, c’est comme si j’y étais. Même si je n’y ai jamais mis les pieds. L’air salin me chatouille le nez, mes yeux sont émerveillés par les plages sablonneuses balayées par le vent et mes oreilles entendent toute la chaleur de l’Acadie dans sa voix.
LE BOUT DU MONDE
Sandra me raconte que, quand elle était petite, l’île Miscou était complètement coupée du monde. Il n’y avait pas de station d’essence, pas de centre commercial, ni même de bibliothèque.
« On n'avait même pas de médecin ! Il y avait une garde-malade. Elle parlait juste en anglais. Elle ne parlait pas français. On arrivait à se faire comprendre. »
Pour l’école, c'était pareil. Il n’y en avait pas.
« Je vais vous expliquer à quel point on était isolé. Pour étudier, on devait se rendre à Shippagan. L’hiver, fallait qu’on soit hébergé parce qu'on ne pouvait pas revenir. Le traversier était notre moyen de transport. Miscou, c’était un trou, comme on dit en bon français. »
Aujourd’hui, les choses ont changé. Depuis 1996, un pont relie Miscou à l’île de Lamèque. On y retrouve désormais un centre de santé, deux restaurants et un café.
« La Terrasse à Steve est extraordinaire. Les gens s'assoient à table, dehors, les pieds dans le sable et la tête dans les étoiles, en mangeant du crabe, du homard, des coques, des palourdes... Tout ce qui pousse dans la mer. »
AU NOM DU PÈRE ET DU FILS…
La musique française la passionne. Les chansons de Brel, Ferré et Barbara lui parviennent de la station de radio de New Carlisle, CHNC-FM, en Gaspésie.
Sandra Le Couteur demeurait presque en face de l’église. Avec sa mère, elle y allait souvent.
« Ma mère était très catholique. Elle chantait la messe à 6 h et à 7 h le matin, puis elle m'amenait avec elle. Y’avait juste nous deux dans l'église. Puis, elle me faisait chanter. Je m'en souviens encore ! Et moi, je voyais le prêtre avec ses mains comme ça en l'air puis je me disais : Oh my God ! Moi aussi j’veux être curé pour pouvoir faire mon show là ! »
LE PHARE
À l’extrémité nord-est de l’île, un phare, construit en 1856, monte la garde. Elle me raconte en riant que c’est là que sa mère la mettait en consigne à l’occasion.
« La gardienne du phare, elle n'avait pas de petite fille. Alors elle m'empruntait des fois la fin de semaine. Je devais avoir cinq ans. Je me souviens encore de la corne de brume qui criait pour avertir les bateaux et de voir la lumière du phare lécher la mer comme une grosse langue. Ça fait partie de mes plus beaux souvenirs. »
POÉSIE ET AMOUR
D’ailleurs, le phare de Miscou est une source d’inspiration constante pour Sandra. Encore aujourd’hui, elle va s’y promener pour s’imprégner de ses odeurs de sable et d’embrun. C’est sur le bord de la côte qu’elle mémorise ses chansons. Qu'elle les pleure aussi. Quand la chanson est sèche, c’est le moment pour elle de monter sur scène avec.
Miscou sent aussi la fleur sauvage, le rosier sauvage, et cette odeur-là peut-être coquine. Elle peut te faire tomber en amour au moment où tu t’y attends le moins.
« Quand tu es dans une auto et que tu pars te promener sur l’île, tu ne peux pas embarquer avec n’importe qui. Faut que tu fasses attention parce que tu peux te faire pogner. Tu peux tomber en amour comme ça (claquement de doigts) avec la personne à côté de toi. Moi je fais attention avec qui j'embarque, je connais la plante. (Rire.) »
LA GOUGOU
À part les quelque 800 habitants et la poignée de touristes, l’île Miscou est habitée d’une légende. Un monstre marin sillonne les eaux de la Baie-des-Chaleurs pour protéger l’île. La créature que les Mi’kmaq d’autrefois appelaient la Gougou.
« L’été je donne des spectacles dans le phare et je raconte aux gens de faire ben attention parce qu’à l'entracte, si vous allez vous promener le long de la grève, ça se peut que vous fassiez la rencontre de la Gougou. Elle aime bien les étranges. Puis là, quand on va recommencer le show, il va manquer des spectateurs. »
TRÉSORS
En riant, Sandra me raconte qu’enfant, elle était gênée de dire qu’elle venait de l’île. Aujourd’hui, elle en est fière. En spectacle elle aime dire aux gens « vous êtes pas passé nous voir, vous êtes venus nous voir » !
« J’ai réalisé que c'est dans les trous qu'on trouve les trésors. Quand tu prends une pelle, puis tu creuses, tu trouves des trésors ! Avec le temps je me suis rendu compte que le trou, il était bien rempli. Il était plein. »
MISCOU
L’île a été d’abord habitée par les [Mi’kmaq](https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/mikmaq#:~:text=Les%20Mi'kmaq%20(Mi',provinces%20canadiennes%20de%20l'Atlantique.). Le nom de Miscou vient du mot susqu, qui signifie « marais tourbeux » ou « basse terre ». Jacques Cartier y a mis les pieds en 1534.
De nos jours, les gens y vont pour ses plages, ses fruits de mer, ses couchers de soleil et pour sa tranquillité.