Crise du verglas : un souvenir figé dans le temps
Les Québécois ont encore bien ancré dans leur mémoire les souvenirs de cette catastrophe. Du 5 au 9 janvier 1998, trois dépressions ont laissé près de 110 mm de verglas sur le sud de la province. Le réseau d’Hydro-Québec a été tellement endommagé qu’il en coûtera près de deux milliards de dollars pour le remettre sur pied.
La tempête parfaite
Étonnamment, le joueur le plus important de la crise du verglas est un anticyclone positionné au nord du Québec, près de la baie d’Ungava. Les anticyclones sont des systèmes de beau temps et même si celui-ci était situé bien loin de l’action, il a joué un rôle de premier plan dans la catastrophe. Les vents des anticyclones tournent dans le sens des aiguilles d’une montre autour de son centre. Ce faisant, un anticyclone près de la baie d’Ungava poussera l’air arctique du pôle vers la vallée du Saint-Laurent.
L’air froid est lourd et dense. Il a tendance à s’écraser au sol. Poussé par l’anticyclone, cet air froid va se retrouver dans la vallée, coincé entre deux chaînes de montagnes, les Appalaches et les Laurentides. Le corridor naturel créé par ces montagnes va guider tout naturellement l’air froid vers le sud de la province, où il a élu domicile au début du mois de janvier 1998. Celui-ci va transformer 110 mm de pluie en un gigantesque cauchemar historique.
La pluie commence à tomber le matin du 5 janvier. Le 6, une deuxième dépression poursuit le travail de la première. Ces deux dépressions ont pris naissance au Colorado et la situation atmosphérique de ce début d’année les a poussées tout droit vers nous. Elles apportent alors assez d’air chaud pour que les précipitations soient liquides. Mais grâce à l'anticyclone de la baie d’Ungava, l’air au sol est sous le point de congélation et la pluie se transforme en verglas. Les stations d’observation de Saint-Hubert et de Granby enregistrent respectivement 35 mm et 41 mm de pluie verglaçante après ces deux dépressions.
La troisième dépression a pris naissance près du golfe du Mexique sur le sud des États-Unis. Comparées à celles venant du Colorado, les dépressions du golfe contiennent une plus grande quantité de précipitations. Prise dans la même circulation atmosphérique, elle fonce vers le Québec, qu’elle atteindra le 8 janvier. Celle-ci a déversé entre 55 mm et 70 mm supplémentaires sur le sud de la province et le Nouveau-Brunswick.
Rien ne va plus
Le risque de perdre l’accès à l’eau potable dans la métropole force le premier ministre, Lucien Bouchard, à déclarer l’état d’urgence le 8 janvier. Le même jour, l’armée est appelée en renfort. Trois jours plus tard, le Québec atteint son pic de pannes d’électricité. Près d’un million de foyers sont sans courant. On estime que plus de 140 000 personnes ont eu recours aux centres d'hébergement rapidement mis en place. Partout dans le sud du Québec, les rues sont impraticables à cause des branches cassées et des fils électriques qui pendent.
Au total, plus de 3000 km de lignes de distribution ont été détruites. Mille pylônes et 16 000 poteaux électriques n’ont pas résisté au poids de la glace. Selon les calculs d'Hydro-Québec, le poids moyen de la glace entre chaque pylône était équivalent au poids de 132 voitures berlines. Certains résidents resteront 34 jours sans courant en plein cœur de l’hiver. C’est le cas de ceux qui habitent le triangle noir. Cette zone située entre Saint-Jean-sur-Richelieu, Granby et Saint-Hyacinthe sera la dernière à retrouver l’électricité, le 6 février.
Il y a eu 29 pertes de vie liées à cette crise. Neuf personnes sont décédées dans des accidents de la route. Certaines d’entre elles, désespérées de n’avoir plus de chauffage ou de moyens de faire cuire de la nourriture, ont utilisé des moyens dangereux comme de faire fonctionner un BBQ à l’intérieur ou un foyer de fortune. Sept sont mortes par intoxication au monoxyde de carbone et cinq dans des incendies. Quatre ont péri par hypothermie et trois dans des accidents comme le déneigement d’un toit.
Personne n’y a échappé
Selon le Conference board of Canada, les pertes associées aux secteurs du bétail, de la volaille et des érablières s'élèvent à quatorze millions de dollars. De tous les producteurs agricoles touchés, les producteurs laitiers ont été les plus affectés. Sans accès aux usines de traitement, sans moyens d'entreposage et sans l’aide de leurs trayeuses automatiques, plusieurs ont dû se résigner à abattre leur cheptel.
Au total, c'est 2,8 millions d’hectares de forêts urbaines et rurales qui ont été endommagés. Pour les acériculteurs, cela représente une perte de 300 000 entailles. Les producteurs de sapins de Noël ont, quant à eux, perdu près de 60 000 arbres.