Bruits des bélugas : étouffés par le niveau sonore dans l’océan Arctique?
Des bélugas nagent près d’Utqiagvik, en Alaska, en juillet 2017. Source : Lisa Barry/NOAA Fisheries
Auteur : William Halliday, University of Victoria
Le béluga, qu’on appelle le canari des mers, vit dans cet environnement. Il siffle pour communiquer et émet des clics à de hautes fréquences pour s’écholocaliser, ce qui lui permet de naviguer dans les ténèbres marines et de trouver de la nourriture.
Les sons font partie intégrante de la vie du béluga, c’est pourquoi la qualité de l’environnement acoustique sous-marin est très importante pour sa santé et sa survie. Cependant, les changements climatiques transforment le milieu marin de l’Arctique, qui devient sans doute de plus en plus bruyant sous l’eau.
Le paysage sonore du béluga
Chaque été, de juin à août, les bélugas de la mer de Beaufort se rendent dans l’estuaire du fleuve Mackenzie. Ces eaux peu profondes où les bélugas vivent possèdent un paysage sonore sous-marin, ou environnement acoustique, complexe, composé de sons naturels (fracas des vagues), de sons biologiques (sifflements et clics des bélugas) et de sons d’origine humaine (bruit des navires).
Une étude récente menée par notre équipe de recherche sur l’Arctique pour la Société canadienne de conservation de la faune (Wildlife Conservation Society Canada), en collaboration avec des partenaires de Pêches et Océans Canada et de Ressources naturelles Canada, a permis de constater que l’environnement acoustique de l’estuaire du fleuve Mackenzie est dominé par les sons du vent et des vagues s’écrasant pour ce qui est des basses fréquences. Les sons des bélugas constituent la principale source de bruits dans les hautes fréquences.
Les changements climatiques causent une fonte de la glace de mer plus hâtive au printemps et une formation plus tardive en automne, ce qui allonge la saison des eaux libres. Cela entraîne davantage d’activités humaines, dont certaines, comme le transport maritime, sont bruyantes.
Étant donné l’importance de l’environnement acoustique pour les bélugas, il est essentiel d’instaurer une surveillance pour établir des niveaux sonores de référence et observer leur évolution. Les bélugas communiquent et s’écholocalisent dans le paysage sonore, et ils l’écoutent pour détecter un danger potentiel. Si les bruits augmentent, ces tâches deviendront plus difficiles pour les bélugas.
En 2010, on a établi la Zone de protection marine (ZPM) de Tarium Niryutait dans l’estuaire du fleuve Mackenzie, en partie pour protéger les bélugas et leur habitat. Notre étude s’est déroulée dans cette ZPM et constitue l’un des outils de surveillance de celle-ci. Les données acoustiques sont utilisées pour déterminer quand les bélugas sont présents dans la ZPM. Nous avons également évalué les principaux facteurs contribuant aux niveaux sonores sous-marins, dont le bruit causé par le trafic maritime.
La Zone de protection marine de Tarium Niryutait a pour but de conserver et de protéger les bélugas et d’autres espèces marines, ainsi que leur habitat et leurs écosystèmes. DFO
Les bélugas et le bruit des navires
Nous avons découvert que les bélugas arrivent dans l’estuaire fin juin et y restent au moins jusqu’à la mi-août, bien que leur pic d’activité se situe en juillet. On les trouve principalement dans des eaux peu profondes, ce qui limite la distance que leurs signaux sonores peuvent parcourir.
Les bruits sous-marins des bateaux et navires (bâtiments de la garde côtière, remorqueurs, barges et petites embarcations des habitants des villages du littoral) se produisent sporadiquement en juillet et en août, et se concentrent aux alentours d’un site particulier fréquenté par les bélugas. Ces bruits se situent dans la même gamme de fréquences que les sifflements dont les bélugas se servent pour communiquer, mais pas tellement dans les fréquences des signaux d’écholocalisation utilisés pour la chasse et les déplacements.
Notre étude précédente a permis de constater que les bélugas réagissent au trafic maritime dans cette zone et ont tendance à s’en éloigner lors du passage d’un navire. Cette réaction a un coût énergétique — les bélugas dépensent plus d’énergie lorsqu’ils s’enfuient — et les empêche de pratiquer des activités importantes comme socialiser et se prélasser. Le fait que même des quantités relativement faibles de bruits sous-marins puissent amener les bélugas à quitter des habitats importants pour eux est préoccupant.
Le paysage sonore de demain
L’avenir de ce paysage sonore est incertain, bien qu’on puisse s’attendre à ce qu’il y ait une hausse des bruits sous-marins. Les changements climatiques causent une prolongation de la saison des eaux libres, où les niveaux sonores sous-marins sont plus élevés que lorsque les eaux sont recouvertes de glace.
Une saison des eaux libres plus longue, combinée à une diminution de la glace de mer au large, a déjà causé une augmentation du nombre de tempêtes, qui devrait continuer de croître. On sait que les bélugas quittent l’estuaire pendant les tempêtes, qui engendrent une forte augmentation des niveaux sonores sous-marins.
Des bélugas nagent près de Churchill, au Manitoba. Source: Shutterstock
Le trafic maritime devrait aussi continuer d’augmenter en raison du prolongement de la période des eaux libres, entraînant une hausse des niveaux sonores et affectant le comportement et la distribution des bélugas. Il est également possible que des navires frappent des bélugas. En outre, certaines proies de ces mammifères marins pourraient réagir à la présence de navires, rendant plus difficile la quête de nourriture. Ainsi,une étude récente a démontré que la morue polaire, une importante source de nourriture des bélugas, réagit au bruit des navires et modifie son trajet lorsqu’ils passent près de son habitat.
Les changements climatiques ont également provoqué une transformation du réseau alimentaire, ce qui pourrait entraîner l’apparition de nouveaux prédateurs, telles les orques, et influencer l’utilisation de l’habitat et les mouvements des bélugas, comme cela s’est produit pour leurs proches parents, les narvals de la région est de l’Arctique.
Les bouleversements rapides que connaît cette région nécessitent une vigilance et une surveillance accrues. La collecte d’informations peut aider les comités de cogestion de la région désignée des Inuvialuit et d’autres décideurs à gérer le trafic maritime.
William Halliday, Adjunct Assistant Professor, School of Earth and Ocean Sciences, University of Victoria
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.