Des fossiles canadiens pourraient expliquer un vide évolutif chez les animaux
Vous êtes-vous déjà demandé comment, quand, où et pourquoi les animaux sont apparus au cours de l’évolution ? Et à quoi ils ressemblaient au tout début ?
La vie a existé pendant la majeure partie des 4,5 milliards d’années de l’histoire terrestre, mais elle a longtemps été exclusivement constituée de bactéries.
Bien que les scientifiques étudient depuis plus d’un siècle les preuves de l’évolution biologique, certaines parties du registre fossile restent étonnamment mystérieuses, et trouver des traces des premiers animaux sur Terre s’est avéré particulièrement difficile.
Évolution cachée
Les informations sur les événements de l’évolution survenus il y a des centaines de millions d’années sont principalement tirées des fossiles. Les fossiles les plus connus sont les coquilles, les exosquelettes et les os que les organismes fabriquent de leur vivant. Les plus vieux fossiles de ce type ont été découverts dans des roches déposées lors de « l’explosion cambrienne », il y a un peu moins de 540 millions d’années.
L’arrivée apparemment soudaine d’animaux divers et complexes, dont beaucoup sont dotés de parties dures, semble indiquer qu’il y a eu auparavant une époque au cours de laquelle les premiers animaux à corps mou et sans parties dures ont évolué à partir d’animaux plus simples. Malheureusement, nous n’avons trouvé jusqu’ici que très peu d’indices de la présence d’animaux fossiles dans l’intervalle d’évolution « cachée » et ceux-ci sont très difficiles à analyser, ce qui rend le moment et la nature des événements évolutifs obscurs.
Cette énigme, connue sous le nom de « dilemme de Darwin », reste fascinante et non résolue 160 ans après la publication de « L’origine des espèces ».
L’oxygène
Il existe des preuves indirectes de la manière et du moment où les animaux ont pu apparaître. Par définition, les animaux ingèrent de la matière organique, et leurs métabolismes nécessitent un certain niveau d’oxygène ambiant. On suppose que les animaux n’ont pu apparaître, ou du moins se diversifier, qu’après une augmentation importante de l’oxygène au cours de l’ère néoprotérozoïque, à une époque située entre il y a 815 et 540 millions d’années, résultant de l’accumulation de l’oxygène produit par les cyanobactéries photosynthétiques, également appelées algues bleues.
Il est largement admis que l’éponge est l’animal le plus élémentaire de l’arbre de l’évolution animale et qu’elle est arrivée en premier. Car oui, les éponges sont des animaux : elles utilisent de l’oxygène et se nourrissent en faisant passer de l’eau contenant des matières organiques au travers de leur corps. Les premiers animaux étaient probablement apparentés aux éponges (hypothèse de « l’éponge d’abord ») et pourraient être apparus des centaines de millions d’années avant le Cambrien, comme le suggère une méthode génétique appelée phylogénie moléculaire, qui analyse les différences génétiques.
Sur la base de ces hypothèses plausibles, les éponges pourraient avoir existé il y a 900 millions d’années. Alors, pourquoi n’avons-nous pas trouvé de preuves fossiles d’éponges dans les roches de ces centaines de millions d’années intermédiaires ?
Dans les bonnes conditions, le tissu spongieux mou fait de fibres de spongine peut créer un fossile distinctif. (Source: Elizabeth C. Turner)
Une des explications est que les éponges n’ont pas de parties dures classiques (coquilles, os). Bien que certaines éponges aient un squelette interne fait de tiges minéralisées microscopiques appelées spicules, aucun spicule n’a été trouvé dans des roches datant de l’époque des débuts cachés de l’évolution animale. Cependant, certains types d’éponges possèdent un squelette constitué de fibres protéiques résistantes appelées spongine qui forment un maillage tridimensionnel microscopique caractéristique, identique à celui d’une éponge de bain.
Les recherches sur les éponges modernes et fossiles ont montré que celles-ci peuvent être préservées dans la roche si leurs tissus mous se sont calcifiés pendant leur décomposition. Si la masse calcifiée durcit autour des fibres de spongine avant qu’elles ne se décomposent, un maillage microscopique distinctif de tubes aux structures complexes apparaît dans la roche. Cette configuration est différente de celle des algues, des bactéries ou des champignons, et on en a beaucoup trouvé dans des calcaires datant d’il y a moins de 540 millions d’années.
Des fossiles surprenants
Je suis géologue et paléobiologiste et je travaille sur des calcaires très anciens. Récemment, j’ai décrit cette microstructure présente dans des roches vieilles de 890 millions d’années provenant du Nord canadien. J’ai suggéré qu’il pouvait s’agir de la preuve de l’existence d’éponges plusieurs centaines de millions d’années plus anciennes que le plus vieux fossile d’éponge reconnu jusqu’ici.
Il pourrait s’agir d’un fossile d’éponge vieux de 890 millions d’années. (Source: Elizabeth C. Turner)
Bien que ma proposition puisse initialement paraître farfelue, elle est conforme aux prédictions et aux hypothèses qui sont courantes dans la communauté des paléontologues : le nouveau matériel semble valider une chronologie extrapolée et une identité des premiers animaux déjà largement acceptée.
S’il s’agit bien de fossiles d’éponges, l’évolution animale pourrait avoir commencé il y a plusieurs centaines de millions d’années plus tôt que ce qu’on croyait.
Les premières éponges hypothétiques que je décris vivaient avec des communautés de cyanobactéries localisées qui produisaient des oasis d’oxygène dans un monde autrement pauvre en oxygène, avant que se produise l’oxygénation néoprotérozoïque. Ces éponges ont pu continuer à vivre dans des environnements probablement inchangés et exempts de pression évolutive pendant plusieurs centaines de millions d’années avant que des animaux plus diversifiés n’apparaissent.
L’existence d’animaux vieux de 890 millions d’années indiquerait également que l’évolution biologique n’a pas été réellement affectée par les glaciations du Cryogénien – les fameuses « Terre boule de neige » – qui ont commencé il y a environ 720 millions d’années.
Mon matériel fossile inhabituel peut offrir une autre perspective sur le dilemme de Darwin. Les nouvelles idées radicales ne sont généralement pas acceptées par la communauté scientifique sans une vigoureuse discussion ; je m’attends donc à ce qu’une vive controverse s’ensuive. Un jour, probablement d’ici plusieurs années, un consensus pourra se dégager sur la base de travaux complémentaires. D’ici là, profitez du débat !