Pour contrer la sécheresse, voici les arômes microbiens !
Une récente étude estime que la sécheresse et des températures élevées vont nuire considérablement à toutes les cultures vivrières majeures, dont le maïs et le blé.
Ruth Schmidt, Institut national de la recherche scientifique
Dans son livre Silent Spring, Rachel Carson écrit : «Le sens de l’odorat, presque plus que tout autre, a le pouvoir d’évoquer des souvenirs…»
Vous pouvez vous demander quel est le rapport avec les micro-organismes. En fait, ils produisent la plupart des odeurs que nous percevons.
Si vous avez déjà marché en forêt après la première averse suivant une vague de sécheresse, vous vous rappellerez une odeur douce, fraîche et fortement évocatrice. Cette substance à odeur de moisi est la géosmine, une molécule libérée dans l’air par des bactéries présentes dans le sol, appelées actinomycètes.
Vous pouvez aussi vous rappeler l’odeur acidulée de la mer, évoquant des souvenirs de vagues déferlantes, plages sablonneuses et cris des mouettes. Cette odeur est due au sulfure de diméthyle, un composé sulfureux plutôt malodorant produit par la floraison des algues.
Mais les odeurs microbiennes peuvent aussi protéger les plantes. Les cultures agricoles peuvent dépérir et mourir en cas de sécheresse. Les microbes — grâce aux odeurs qu’ils libèrent— peuvent aider les plantes à mieux tolérer ces conditions stressantes, un service important en cas de réchauffement climatique. En tant qu’écologiste microbienne, mon travail vise à comprendre comment les microbes et les plantes travaillent de concert et quelles sont les odeurs microbiennes qui aident les cultures.
Un langage des odeurs
Les odeurs, aussi bien les bonnes que les mauvaises, sont causées par des substances chimiques, appelées composés organiques volatiles, ou volatiles.
Les scientistes connaissent cette forme de langage depuis 1990. Les plantes se servent des volatiles pour attirer les pollinisateurs, pour « crier à l’aide » quand elles sont attaquées par les insectes et pour avertir les plantes voisines de préparer leurs défenses chimiques.
Les chercheurs n’ont toutefois réalisé que dans la dernière décennie que les microbes communiquent aussi à l’aide des volatiles. Certains microbes se servent des volatiles pour se transmettre d’autres signaux ou coordonner leur comportement, comme leur habileté à se déplacer ou à croître.
Les volatiles ont un faible point d’ébullition et d’autres propriétés uniques qui leur permettent de s’évaporer facilement et de parcourir dans les airs de longues distances — dans une perspective microbienne du moins. Ces caractéristiques utiles aident les microbes à communiquer dans l’environnement des sols.
On pourrait penser que les volatiles sont les « mots » qui construisent le « langage » des micro-organismes.
Zoomez sur les racines qui entourent les plantes où les microbes se développent et émettent des volatiles.
Ma recherche sur la communication microbienne a examiné comment les microbes au sol vivant près des racines des plantes se servent des volatiles pour échanger de l’information dans la « rhizosphère », ou l’emplacement des racines. Les bactéries et les champignons se répondent en fait les uns les autres à l’aide de terpènes, un autre type de volatile.
On a déjà souligné l’importance des terpènes dans la communication entre les plantes et les insectes, mais c’est la première fois qu’on a aussi observé des conversations entre les microbes à l’aide de terpènes.
La senteur du changement climatique
L’agriculture et le changement climatique sont profondément imbriqués. Une récente étude estime que la sécheresse et des températures élevées vont causer des pertes importantes dans toutes les cultures vivrières majeures, dont le maïs et le blé. Ceci aura une incidence dramatique sur l’approvisionnement alimentaire mondial. Nous avons un urgent besoin de stratégies pour amoindrir les effets négatifs des changements climatiques sur les cultures. L’une de ces stratégies repose sur les microbes.
Les microbes vivent à l’intérieur de nous et sur notre peau, et ils nous aident à rester en santé. Comme les humains, les plantes hébergent des communautés de microbes, collectivement appelées microbiome des plantes, qui préservent leur santé, soutiennent leur croissance et les protègent des maladies en luttant contre les agents pathogènes. Les plantes peuvent même recruter des microbes auprès de leurs racines pour les aider à résister à la sècheresse.
Image de microscope électronique montrant des microbes sur la peau humaine prise dans le cadre du projet multidisciplinaire Fifty Percent Human. Sonja Bäumel
Le microbiome de la plante joue un rôle important dans la survie des plantes et, réciproquement, les plantes fournissent les nutriments à leurs microbes associés qui, en retour, protègent leur hôte à l’aide d’interactions coopératives et compétitives. Cette relation intime et codépendante entre la plante et son microbiome est appelée holobionte.
Certains considèrent même la collaboration comme un « superorganisme », une société qui fonctionne comme un tout. Le microbiome favorise l’évolution et l’adaptation de sa plante hôte en en faisant une entité résiliente qui peut s’adapter aux conditions environnementales changeantes.
Notre équipe étudie les diverses manières dont l’hobionte de la plante s’adapte au stress, comme la contamination et la sécheresse. Nous trouvons des façons de cultiver des communautés microbiennes avec des plantes afin d’attiser leur résilience à l’égard de ces stress.
Notre champ expérimental avec lu blé comme plante modèle pour étudier l’effet de la sècheresse sur le microbiome de la plante. Ruth Schmidt
Une partie de notre recherche consiste à trouver des solutions écologiques pour l’agriculture. Par exemple, les terpènes microbiens — la plus grande classe de volatiles produits par des champignons, protistes, et bactéries peuvent aider les plantes à survivre en temps de sécheresse. Les microbes libèrent leurs volatiles en guise de signal aux plantes et stimulent les mécanismes de défense des plantes.
Nous ne savons toujours pas comment la communication se fait, ni grâce à quels gènes ou par quelles voies ces volatiles sont libérés, mais nous y travaillons. Nous dépistons les volatiles microbiens dans l’hobilonte de la plante et nous extrayons littéralement les gènes transportant l’information génétique pour produire ces composés.
Nous pouvons alors sélectionner les microbes qui transportent les gènes dont les odeurs aident les plantes à résister à la sécheresse – et nous les donnons comme vitamine à nos cultures afin qu’elles puissent continuer à nous fournir des aliments lors d’un avenir plus chaud.
Ruth Schmidt, Postdoctoral Fellow in Microbial Ecology, Institut national de la recherche scientifique
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.