Les feux de forêt ont aussi un impact sur les lacs

Les feux de forêt de l’été 2023 ont été particulièrement dévastateurs au Canada. En raison de leur caractère destructeur sur les infrastructures humaines, des panaches de fumée sur des milliers de kilomètres carrés et des millions de tonnes de CO2 émises, on parle même d’une année record. Ces conséquences entraînent évidemment des inquiétudes quant à la qualité de l’air et aux changements climatiques. En effet, des études évoquent un potentiel effet de rétroaction. En d’autres termes, les changements climatiques accentuent les feux, qui accentuent à leur tour les changements climatiques. Mais un autre enjeu préoccupe de plus en plus les experts : quels sont les effets des feux de forêt sur les lacs?

Poto à la une : André Roy, Sainte-Anne-des-Monts, Québec.


Des chercheurs en écologie des eaux douces proposent d’apporter un éclairage sur cette question en abordant les trois facteurs principaux qui sont soupçonnés d’affecter les écosystèmes aquatiques dans les bassins versants brûlés.

Un texte signé par Jean-François Lapierre, professeur en limnologie à l'Université de Montréal, et Mathilde Bélair, limnologiste, biogéochimiste aquatique, cycle du carbone à l'Université de Montréal.

Éteindre les feux avec l’eau des lacs

L’une des manières de lutter contre les feux consiste à utiliser de grandes quantités d’eau, souvent prises à même les lacs et transportées par avion-citerne. Bien qu’efficace, cette méthode peut perturber la structure physique des lacs (niveau d’eau, perturbation des sédiments en profondeur).

Des produits qui contiennent des nutriments (azote, phosphore) ou des substances potentiellement toxiques pour la vie aquatique peuvent également être ajoutés à l’eau pour l’empêcher de s’évaporer trop rapidement avant d’atteindre le sol. Or, peu, sinon aucune étude scientifique n’a documenté l’effet de ce phénomène sur les lacs.

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Photo : Mathilde Bélair

Ne pas sous-estimer les panaches de fumée

Les panaches de fumée (et les cendres qu’ils contiennent) apportent de grandes quantités de nutriments, de métaux et de minéraux qui peuvent se déposer à la surface des lacs. Dans des cas extrêmes, jusqu’à 20 centimètres de cendres ont été déposées sur des lacs près de feux de haute intensité.

Les études suggèrent que les effets de ces dépôts de cendres sur les lacs sont relativement de courte durée. Ils peuvent durer de quelques jours à quelques mois, selon le temps que l’eau des lacs prend à se renouveler.

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Ces effets sont également plus importants dans les régions chaudes et sèches (comme la Californie et des régions méditerranéennes), où les lacs drainent typiquement de petits bassins versants dont les sols sont pauvres en matière organique et en nutriments. Ainsi, dans ces régions, les apports de nutriments ou de polluants par l’atmosphère peuvent être proportionnellement plus importants que les apports via le lessivage par l’eau de pluie.

Un panache persistant de fumée peut aussi capter une grande part de l’ensoleillement, ce qui perturbe les organismes aquatiques qui font de la photosynthèse (et qui ont donc besoin de lumière).

L’eau des sols est transportée vers les lacs

Le transport de la matière du milieu terrestre vers les lacs par le lessivage semble être le principal moteur des effets des feux sur la majorité des lacs canadiens.

La combustion en soi altère grandement la structure physique et chimique des sols. De plus, la mortalité des arbres diminue l’évaporation et accentue l’érosion, occasionnant un plus grand transport d’eau des sols vers les lacs. De plus, à la suite d’un feu, ce transport d’eau des sols vers les lacs se passe plutôt dans les sols de surface, plus riches en matières diverses (carbone organique et nutriments naturellement présents, en plus des résidus de la combustion).

Les changements chimiques dans les sols causés par les feux augmentent la mobilité de la matière lors de pluies. Ainsi, les lacs qui drainent un territoire brûlé reçoivent un plus grand volume d’eau (ruissellement), qui contient davantage de nutriments et résidus de la combustion, que les lacs qui drainent un territoire non brûlé.

Ces effets peuvent persister pendant plusieurs années, selon la vitesse à laquelle les bassins versants se rétablissent après un feu. En effet, des études ont montré des augmentations dans les concentrations en nutriments (azote, phosphore), en carbone organique, en matières en suspension dans l’eau des lacs jusqu’à 4 ans après les feux. Mais les effets sur la vie aquatique (abondance, contamination potentielle) demeurent nébuleux.

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Ces effets sur la qualité de l’eau et la vie aquatique seraient en fait comparables à ceux observés lors de coupes forestières. L’impact des feux semble proportionnel à la sévérité (la surface couverte) et à l’intensité (la chaleur) du feu, jusqu’à un certain point. Des feux trop chauds (dont la température dépasse 450 °C) peuvent en fait mener à ce que la matière dans les sols s’envole littéralement en fumée plutôt que d’être transportée vers les lacs.

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Photo : Mathilde Bélair

Une énorme quantité de carbone

Au Canada seulement, en 2023, environ 480 millions de tonnes (Mt) de carbone (soient 1760 Mt de CO2) ont été émises vers l’atmosphère par l’effet direct de la combustion des arbres (et des sols) par les feux de forêt. Une quantité qui dépasse largement les 708 Mt de CO2 émises par l’ensemble des activités humaines au pays.

Chaque mètre carré de territoire brûlé sera drainé par un écosystème aquatique, souvent un lac. Et les feux augmentent la charge en carbone vers les lacs. Il est donc probable qu’un retour additionnel – mais pas encore quantifié – de carbone terrestre soit ré-émis via la surface des lacs vers l’atmosphère suite à la conversion de carbone organique en CO2 via des processus biologiques et physiques dans l’eau. Une autre portion du carbone déposé dans les lacs pourra sédimenter et être stockée à long terme dans les sédiments, en profondeur.

Quantifier le devenir du carbone terrestre dans les lacs à la suite de feux de forêt permettra de mieux comprendre à quel point les lacs viennent amplifier ou atténuer une possible boucle de rétroaction entre les feux de forêt et les changements climatiques.