Une planète a bel et bien été découverte dans un système à trois étoiles
On vient de découvrir la planète KOI-5Ab dans un système à trois étoiles. C’est un parfait exemple du type de découvertes étonnantes que permet la coopération entre de grandes équipes d’astronomes qui utilisent différentes sortes de télescopes et de techniques d’observation.
Le cliché veut que les scientifiques, ces « génies solitaires », font des découvertes sans l’aide de personne. Cette idée est entretenue par la prestigieuse Académie Nobel, qui ne décerne ses prix qu’à deux ou trois scientifiques à la fois.
Mais les grandes découvertes, en particulier dans les domaines de l’astronomie et de la physique, sont de plus en plus souvent le fait de dizaines, voire de centaines de scientifiques qui combinent les données de multiples expériences et méthodes d’observation.
Comment trouver une exoplanète
L’un des domaines de recherche qui connaît la plus forte croissance en astronomie est l’étude de planètes situées dans d’autres systèmes solaires, ou exoplanètes. À ce jour, on en a trouvé 4 367. Essayer d’observer une exoplanète en orbite autour d’une étoile lointaine, c’est comme tenter de voir une luciole ramper sous un projecteur. Ainsi, la plupart des exoplanètes ont été découvertes grâce à d’astucieuses techniques indirectes.
L’une d’elles, la technique de la vitesse radiale, a permis jusqu’ici de détecter 833 exoplanètes. Cette technique mesure de minuscules changements de la couleur de la lumière émise par une étoile lorsque son exoplanète en orbite la déplace légèrement.
La majorité des premières exoplanètes découvertes l’ont été grâce à cette méthode. La première tentative de détection d’une exoplanète a été réalisée par une équipe canadienne en 1988 à l’aide de la vitesse radiale. La première découverte réelle d’une exoplanète, en 1995, a valu aux scientifiques qui l’ont faite le prix Nobel de physique 2019.
La vitesse radiale a été la première technique utilisée, mais aujourd’hui, plus des trois quarts des exoplanètes sont repérées grâce à la méthode du transit. Elle consiste à mesurer la luminosité d’une étoile au fil du temps, de manière à observer les baisses de luminosité qui se produisent régulièrement et qui pourraient être causées par le passage devant l’étoile d’une planète en orbite.
La technique du transit mesure les fluctuations de la luminosité d’une étoile.
Des milliers de planètes
La mission Kepler a mesuré l’intensité lumineuse de 180 000 étoiles toutes les 1 à 30 minutes pendant quatre ans à l’aide d’un télescope spatial. On a ainsi pu découvrir près de 2 400 exoplanètes (et plus de 400 autres lors de la mission de suivi K2). L’équipe de la mission Kepler comprend officiellement des dizaines d’astronomes et de scientifiques, et des dizaines d’autres ont pu analyser les données accessibles au public pour détecter davantage de planètes.
La mission Kepler a relevé sa dernière exoplanète en 2018, et depuis, le Satellite de recensement des exoplanètes en orbite (TESS) lui a emboîté le pas. Au lieu de se concentrer sur un seul secteur du ciel, TESS en surveille plusieurs.
L’inconvénient de la technique du transit seule est qu’il existe d’autres effets astrophysiques qui peuvent provoquer une baisse périodique de luminosité, comme des étoiles situées en arrière-plan dont la luminosité varie ou des taches stellaires (comme les taches solaires). Pour cette raison, lorsque des signaux intéressants sont découverts par des études de transit, ils sont classés de façon objective comme étant des « objets d’intérêt » jusqu’à ce que le statut d’exoplanètes soit validé par une autre technique, souvent la vitesse radiale.
À l’heure actuelle, la mission TESS a recensé plus de deux mille objets d’intérêt et plus de cent exoplanètes confirmées. C’est au cours du processus de validation que de nombreux systèmes exoplanétaires vraiment fascinants sont reconnus grâce à d’impressionnants exploits de collaboration et de coopération scientifiques. Les équipes TESS et Kepler ont mis en place un centre de coordination pour planifier et partager les données de suivi.
D’incroyables systèmes exoplanétaires
Parmi les découvertes d’exoplanètes les plus remarquables à ce jour, on trouve les planètes qui orbitent autour d’une paire d’étoiles (oui, comme Tatooine dans « La guerre des étoiles »), sept exoplanètes dans le même système qui sont toutes plus près de leur étoile que Mercure ne l’est de notre Soleil, des planètes qui s’évaporent et une naine brune dont les anneaux rendraient Saturne jalouse.
Toutes ces découvertes ont nécessité beaucoup de modélisation et de collectes de données supplémentaires afin de comprendre les systèmes, mais c’est en janvier 2020 qu’on a annoncé la découverte d’un des systèmes d’exoplanètes les plus complexes détectés à ce jour.
Le Kepler Object of Interest 5 (KOI-5) faisait partie du premier lot d’éventuelles exoplanètes signalées par le télescope spatial Kepler en 2009. Mais les premières données recueillies par la suite ont rapidement démontré que le système était complexe, car on y trouvait une étoile supplémentaire et que les observations de suivi ont produit des résultats étranges. Comme les astronomes de la mission se délectaient (avec peut-être un peu de frénésie) de la découverte d’éventuelles exoplanètes, ce système a été mis de côté et les données ont été laissées dans les archives publiques. Il a ensuite été remarqué à nouveau une décennie plus tard par TESS en tant qu’objet d’intérêt TESS (TOI-1241).
L’imagerie à haute résolution d’une équipe d’astronomes a été combinée avec des informations de vitesse radiale recueillies sur une longue période par une autre équipe, et l’histoire a commencé à se dessiner : KOI-5 est un système à trois étoiles avec une exoplanète en orbite autour de l’une d’elles. Cette découverte a été présentée lors de la rencontre de l’Union américaine d’astronomie de janvier 2021, et un article revu par des pairs devrait paraître bientôt.
Dans le cadre de mes recherches et de mon travail, j’ai eu recours à diverses archives publiques de données sur les systèmes d’exoplanètes, et je suis parfaitement consciente que les politiques d’accès aux données maximisent les résultats de la recherche scientifique qui pourraient être obtenus avec chaque ensemble de données.
Le système à trois étoiles KOI-5 avec son exoplanète découverte récemment. Caltech/R. Hurt, Infrared Processing and Analysis Center, Author provided
Des orbites complexes
Au milieu du système, deux étoiles de la taille d’un soleil, nommées A et B, orbitent l’une autour de l’autre avec une période de 29 ans, tandis qu’une troisième étoile, plus petite, tourne autour des deux étoiles centrales en environ 400 ans. On a appelé la nouvelle planète KOI-5Ab parce qu’elle tourne autour de l’étoile A, sur une orbite fortement inclinée par rapport au plan orbital des deux étoiles.
Les données de Kepler et de TESS, qui ont nécessité la collaboration de dizaines d’astronomes, ont révélé que le rayon de KOI-5Ab faisait sept fois celui de la Terre. Une autre équipe d’astronomes a utilisé les données de vitesse radiale pour mesurer la masse de KOI-5Ab : 57 fois celle de la Terre. La combinaison de ces chiffres donne la densité et nous indique qu’il s’agit d’une planète géante gazeuse, un peu plus petite et plus dense que Saturne.
Si je suis devenue astronome, c’est parce que j’ai toujours aimé lire des histoires de science-fiction, et j’aime m’imaginer ce que ce serait de visiter une exoplanète comme celle-ci. Comme il s’agit d’une planète gazeuse, on ne pourrait pas se tenir sur sa surface, mais que verrait-on si on planait au bord de son atmosphère dans un vaisseau spatial ?
On considère que plusieurs exoplanètes sont très sombres, alors imaginez qu’en regardant vers le bas, vous observez des bandes turbulentes de nuages bruns et gris foncé qui tourbillonnent, poussées par des vents violents. Dans le ciel, vous voyez un Soleil 17 fois plus gros que le nôtre. Vous apercevez également un autre Soleil beaucoup plus petit, dont la luminosité équivaut à 0,5 % de celle du nôtre (mais qui est tout de même mille fois plus brillant que la pleine Lune sur Terre). L’orbite de ce petit soleil traverse les constellations du ciel sur une période de trente ans. La troisième étoile du système se déplace beaucoup plus lentement par rapport aux étoiles lointaines et, même si elle est très distante, elle n’en demeure pas moins beaucoup plus brillante que la pleine Lune dans notre ciel.
Si vous restez en orbite autour de cette planète, vous ne serez dans l’obscurité totale que de brefs instants environ tous les deux cents ans, lorsque les trois étoiles se retrouvent dans la même partie de la sphère céleste. Ce système d’exoplanètes ressemble à une histoire de science-fiction, mais les astronomes ont pu prouver de manière concluante son existence.
Un travail de collaboration
L’astronomie est une des sciences où l’on bénéficie le plus du partage des données. Nous disposons du serveur arXiv d’articles révisés par des pairs en libre accès, et la pratique courante veut que les données des télescopes soient accessibles au public dans diverses bases de données après une courte période avec droits de propriété (généralement un an).
La coopération entre des astronomes qui ont recours à diverses techniques d’observation a permis de faire des découvertes incroyables comme le système KOI-5Ab. Tant que les satellites ne gâcheront pas l’astronomie au sol, le travail de grandes équipes et la collaboration entre utilisateurs de différents télescopes continueront à produire des découvertes astronomiques suffisamment remarquables pour dépasser la science-fiction.
Samantha Lawler, Assistant professor of astronomy, University of Regina
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.