Le verglas catastrophe de 1998 pourrait-il se répéter en 2023?
Le grand verglas de 1998 s'est produit lors d'un hiver El Niño, comme ce sera le cas cette année. Pourrait-on revivre cette catastrophe? Réjean Ouimet répond à la question.
Verglas improbable
Pour bien expliquer le phénomène, il faut connaître la recette parfaite pour un épisode de verglas. Des températures froides sont requises à très basse altitude. De la pluie verglaçante à -5 °C, c'est possible et très contraignant. Au contact des objets, l'eau gèle instantanément ou presque. Par conséquent, le danger s'en suit, sans oublier les dommages possibles au réseau d'électricité et aux infrastructures si le verglas s'accumule suffisamment. La catastrophe de 1998 est mémorable : plus de 100 mm de verglas, jusqu'à un mois sans électricité dans certains secteurs. Peut-on revivre un tel événement au Québec?
« Le grand verglas de 1998 a marqué l’imaginaire québécois, mentionne Réjean Ouimet, météorologue. Il a scellé au fer rouge le fait que cet événement a eu lieu à cause d’El Niño, selon une opinion répandue. Il serait plus juste d'affirmer que le verglas est survenu pendant un épisode El Niño. Un verglas, petit ou gros ou encore majeur, nécessite deux conditions essentielles : de l’humidité chaude en altitude et du froid près du sol simultanément. »
El Niño, le grand coupable?
Lors d'un hiver sous l'influence d'El Niño très intense près de la côte de l'Amérique centrale, la douceur a tendance à remonter jusqu'au Québec. Elle devient une alliée pour les précipitations liquides. Jusqu'ici, tout va bien pour El Niño. Serait-il l'unique responsable?
« El Niño présente deux caractéristiques, précise Réjean Ouimet. Le courant-jet assez intense, et donc actif, serpente à travers le sud des États-Unis. Ceci favorise le développement de tempêtes. Son parcours au sud le met en contact avec l’air tropical très humide. La trajectoire du courant-jet vers le nord permet à de l’air doux de remonter vers le Québec. El Niño a joué son rôle en 1998 comme il pourrait le faire cet hiver.
Un élément essentiel
Dans ce scénario catastrophe, il manque un élément essentiel qui s'est manifesté en 1998 : la présence de deux anticyclones (un dans le nord du Québec, un autre dans l'Atlantique). En effet, ces deux phénomènes ont joué un rôle clé lors de ces événements. Dans un premier temps, la zone de haute pression au nord a rabattu de l'air froid au sol. Puis, celle campée dans l'océan a contribué à créer une sorte de corridor de dépressions qui ont frappé le Québec à répétition en plus d'y pousser l'air doux. La meilleure recette pour de la pluie verglaçante pendant des jours.
« D’autres éléments qui ne sont pas typiques d’El Niño ont contribué en 1998, poursuit Réjean Ouimet. Un anticyclone dans l’Atlantique a figé l’atmosphère et la trajectoire des vents de haut niveau pendant plusieurs jours. Les systèmes ont pu garder une orientation constante. Les trajectoires ont favorisé un même type de précipitations sur les mêmes régions à répétition. La durée de l’épisode de 1998 tient à cela : cinq jours. Et ceci n’est pas typique d’El Niño. Des perturbations en séquence ont été en cause en 1998. Cette situation de perturbations multiples sur un court laps de temps fait partie du climat sur le continent nord-américain. C’est possible en toutes saisons et non seulement sous le règne d'El Niño. »
Scénario exceptionnel
Un tel épisode pourrait évidemment se répéter, mais tous les ingrédients doivent être réunis. De l'air froid au sol, de la douceur en altitude, un défilé de systèmes gorgés d'humidité, tels sont les éléments requis. Les probabilités qu'une telle catastrophe se reproduise sont plutôt minces. Du reste, des épisodes majeurs de pluie verglaçante, il y en aura. Si El Niño favorise la douceur en hiver au Québec, cela ne signifie pas pour autant qu'une tempête de l'ampleur de 1998 va se reproduire sous son règne. Notons ici l'incroyable différence de température dans l'océan entre 1998 et 2023.
Le contexte actuel d'un épisode El Niño fort se noie littéralement dans les eaux chaudes des océans à l'échelle planétaire.
Avec la collaboration de Kevin Cloutier et Réjean Ouimet, météorologues.